La question du voile revient souvent
quand on parle de l'évolution des société arabes et plus
généralement musulmanes. Nous avons l'habitude en France de faire
du port du voile un indicateur de l'émancipation féminine et même
de la démocratie. Et il est vrai que dans l'histoire ce sont souvent
ceux qui se sont attaqués au voile islamique qui ont donné plus de
droits aux femmes : Ataturk en Turquie, Bourguiba en Tunisie.
Ici Bourguiba retire le voile d'une
tunisienne
Ces leaders étaient inspirés par une
certaine idée du progrès inspirée de la philosophie des Lumières
et étaient partisans d'une évolution de la société vers les
standards occidentaux. Par opposition, ceux qui ont enfermé les
femmes derrière la burqa comme les talibans sont aussi ceux qui leur
ont interdit l'accès à l'école, développant des thèses
rétrogrades.
Mais on assiste aujourd'hui avec les
mouvements des Printemps arabes, aussi bien en Tunisie qu'en Libye,
Egypte et Palestine, à une montée des thèses islamistes. L'Iran et
la Turquie - cette dernière de manière moins radicale - avaient montré la voie il
y a déjà plusieurs années. Le FIS algérien avait été écarté
du pouvoir à la suite d'un coup d'état des militaires lui volant sa
victoire aux élections. De nombreuses femmes ont soutenu et
soutiennent encore les mouvements islamistes dans tous ces pays. En
Tunisie même, le Parti islamiste Ennahda a réussi à présenter
de nombreuses femmes aux élections législatives dont certaines étaient
d'ailleurs non voilées: voir par exemple Souad Abderrahim élue à
Tunis
:
On peut évidemment prétendre –
c'est ce que disent les féministes occidentales - que ces femmes
sont aliénées en épousant les thèses misogynes de leurs pères ou
de leurs maris, qu'elles sont sous influence. Dans ces pays, la
cellule familiale et les valeurs religieuses structurent en effet
très fortement la vie quotidienne.
Femmes voilées à l'Assemblée constituante tunisienne:
Il me semble cependant qu'un mouvement
social et politique beaucoup plus profond travaille toutes ces
sociétés. Après les indépendances, dans les années 50 et 60, ce
sont la plupart du temps des mouvements panarabes nationalistes et
autoritaires qui ont pris le pouvoir, sur le modèle du régime
égyptien de Nasser : un pouvoir laïc fort, indépendant des
religieux, issu de l'armée ou appuyé par elle, dont les "élites" ont la plupart du temps fait main basse sur les richesses, s'est instauré en Irak (avec Sadam
Hussein et ses prédécesseurs), en Syrie (avec Hafez El Assad, puis son fils Bachar), en
Libye (avec Khadafi), en Tunisie (avec Ben Ali), en Algérie (avec
Boumedienne et ses successeurs). Tous ces régimes ont donné
quelques droits aux femmes, essayant en cela de démontrer leur côté
progressiste en comparaison de ce qui se passait dans les monarchies
du Golfe qu'ils combattaient.
Leurs principaux opposants étaient la
plupart du temps des mouvements religieux et en particulier les
Frères Musulmans qui souhaitent le retour à des valeurs islamiques
traditionnelles (la piété, la charité, la justice...) et l'application de la charia. L'Association des Frères Musulmans a été fondée en 1928 en Egypte dans le but de lutter contre "l'emprise laïque occidentale et l'imitation aveugle du modèle européen". Et voici un extrait d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme
datant de 2001 : " Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention (des Droits de l'Homme), notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses."
L'échec économique et social des
«socialismes arabes» incapables de donner du travail à leurs
citoyens, et leur caractère oppressif ont conduit aux révolutions
du Printemps arabe. Tout naturellement, les bénéficiaires politiques de ces
révolutions sont ceux qui ont été le plus persécutés et qui ont partout investi les associations caritatives
venant en aide au petit peuple : les partis islamistes, soutenus par les pétrodollars des monarchies du Golfe (en particulier du Qatar). La proportion
grandissante du nombre de femmes portant le voile est aussi le témoin
de ce mouvement d'opinion, qui rejette plus ou moins fort des valeurs
«progressistes» de l'Occident qui n'ont pas empêché la misère de
se développer et la corruption de prospérer.
Pour autant, les droits de femmes
sont-ils menacés en Tunisie ? Il est sûr que parmi les islamistes se trouvent
des fondamentalistes (les salafistes) qui voudraient remettre en
cause le divorce, l'avortement, les droits du mariage et de
l'héritage, le droit à l'éducation pour les femmes. Pour les Tunisiennes habituées à disposer de droits
bien supérieurs à ceux de la plupart de leurs soeurs des pays
arabes, il y a beaucoup à perdre et elles ne se laisseront
probablement pas facilement déposséder de ceux-ci … A suivre dans
les prochains mois …
Voici quelques images, glanées tout au
long de notre voyage, de ces Tunisiennes : elles apparaissent
effectivement le plus souvent voilées, contrairement à ce qu'on
voyait il y a plusieurs années. Seules Tunis et les grandes villes
font - en partie - exception. Mais, le voile intégral est tout à
fait exceptionnel. Alors, Tunisiennes, défendez vos droits !
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