mercredi 8 avril 2015

Traversée indochinoise (30) : Saïgon / Ho Chi Minh Ville


Lung est arrivé de très bonne heure a notre hôtel situé en plein centre de Saïgon. Pourtant, il habite à 15 kms du centre et dépend pour ses déplacements de sa fille médecin qui a une petite moto comme des millions d'habitants de la ville. Des motos, il y en a 37 millions pour une population de 90 millions de personnes. Si on décompte les enfants et les personnes âgées non susceptibles de conduire, chaque Vietnamien a la sienne.
Ce soir, nous prenons l'avion pour Hué et l'agence a averti Lung que l'avion était surbooké. Pendant les Fêtes du Têt, on vend plus de places qu'il y a de sièges dans l'avion... Nous devons donc être dans les premiers à l'aéroport pour être sûrs de partir. Pourtant, Lung a le projet de bien respecter le programme, et même d'en faire plus si possible. Lung dit toujours qu'il est un bon guide, pas comme les autres, en tout cas pas comme ces petits jeunes qui ne connaissent pas bien leur pays et qui ont été formés par les communistes. On pourrait croire qu'il est imbu de lui-même, mais en fait c'est vrai qu'il connaît plein de choses, avec une sacrée expérience humaine et touristique, et aussi beaucoup d'humour. Il est très directif et me dit toujours : "Alain, venez ici, il faut faire la photo là" ou bien : "On ne va pas acheter ici, c'est trop cher et c'est moins typique". Ça pourrait être énervant à force, mais on lui pardonne tout, tellement on apprend de choses avec lui.
Aujourd'hui, il nous parle du mariage traditionnel vietnamien - qui n'est plus vraiment pratiqué de nos jours -. Autrefois, les jeunes gens et les jeunes filles faisaient des mariages arrangés décidés par les parents, et on payait souvent un entremetteur pour organiser la rencontre entre les futurs époux et leurs familles. Si cela convenait aux deux familles, les fiançailles pouvaient avoir lieu dans la famille de la future. On faisait alors un grand banquet. Il fallait s'assurer que la future épouse sache s'occuper du ménage, soigne sa beauté, soit délicate et ne dise pas de gros mots, et enfin, le plus important dans une société où la famille est si importante, soit respectueuse de ses futurs beaux-parents. Les négociations pouvaient alors commencer pour définir le montant que la famille du futur époux devait payer au père de la future épouse. Les qualités de l'épouse s'achetaient en monnaie sonnante et trébuchante. Dans les négociations, on employait tous les artifices (comme le fait que le père avait dû payer un serviteur pour s'assurer de la virginité de la belle, ou bien qu'un précepteur fort bien rémunéré l'avait correctement instruite) pour augmenter la valeur de la demoiselle, exactement comme si la femme était un vulgaire bien de consommation! L'étape d'après était celle du mariage, cérémonie qui avait lieu dans la famille du marié, devant l'autel des ancêtres (c'est la seule cérémonie qui subsiste de nos jours). On présentait à ceux-ci la future femme à condition que la famille du mari ait préalablement versé le montant de la transaction. On ne faisait pas crédit! La mère du mari devait ensuite faire un cadeau a l'épouse (des boucles d'oreille et un collier) dont la valeur symbolique était de marquer que désormais la belle-fille était devenue comme la propre fille de sa belle-mère. A partir de ce moment, l'union était scellée par la signature des témoins sur un grand tissu conservé toute la vie. La femme était alors considérée comme membre de la famille de son époux et devait honorer les ancêtres de celui-ci. Au domicile de son mari, elle n'avait plus le droit d'honorer ses propres ancêtres. Elle devait fidélité à son mari (lui pouvait être polygame à condition de pouvoir assurer matériellement la vie de toutes ses épouses) même au delà de la mort; au cas où elle devenait veuve, elle ne pouvait pas se remarier avec un autre homme. En contrepartie, la famille de son mari devait la nourrir et l'héberger sa vie durant
En visitant la pagode Giac Lam, on voit dans un coin des femmes qui viennent honorer leurs morts comme chaque année. Si elles viennent, c'est qu'aucun homme de leur famille, ou aucune belle-sœur ne peut le faire, soit qu'ils soient morts, soit qu'ils aient quitté le pays. La coutume leur interdit de le faire chez elles puisque c'est aux ancêtres de leur mari qu'elles doivent le culte ... Alors un espace leur est réservé à la pagode. Elles portent sur la tête des papiers rouges avec des inscriptions en chinois; ce sont des vœux pour leurs morts qui doivent s'envoler vers le ciel. 
Des familles entières, l'homme en tête, habillées de blanc, la couleur du deuil, viennent aussi se recueillir à la date anniversaire de la mort de leur défunt. 
Le culte des ancêtres est totalement mélangé avec le culte bouddhiste dans cette pagode où un bonze habillé en marron - on est dans le Grand Véhicule et, au contraire du Cambodge et du Laos, on n'a pas besoin de faire exactement comme Bouddha qui était habillé en jaune safran - distille ses conseils et sa sagesse à qui la sollicite. Le bouddhisme n'impose pas de faire appel aux bonzes qui ne sont pas des intercesseurs avec Dieu comme dans la religion catholique.
Cherchez l'intrus de cette pagode! Oui, cette statue est bien celle d'Ho Chi Minh, le fondateur du Parti Communiste Indochinois. Lung nous dit que c'est le gouvernement qui impose la présence de la statue de cet athée convaincu dans ce lieu de culte religieux. Une manière pour les communistes d'essayer de gagner la confiance des bouddhistes.
Dans des pièces attenantes, on stocke des urnes funéraires, et devant, on brûle des papiers votifs, de faux habits, de faux billets de banque dont la fumée s'élèvera vers les âmes, dans le ciel, pour assurer leur bien-être.
A la pagode Thien Hau, construite à Cholon au début du XIXème Siècle par la Congrégation Chinoise de Canton, on honore la Déesse  de la Mer, ce qui en fait un des lieux les plus saints pour les Chinois du monde entier qui viennent la vénérer. Au faîte du toit, on peut y admirer une magnifique frise de personnages en porcelaine. Les fidèles achètent des tortillons en spirale d'encens qu'on accroche en l'air et qui enfument l'atmosphère.
Le marché Binh Thanh de Cholon est le plus grand marché de gros du Vietnam. 
Le commerçant chinois qui a construit ce marché est devenu richissime en louant des emplacements à ses collègues. Ceux-ci vénéraient sa statue qui trônait au centre du jardin jusqu'en 1975. A l'avènement du régime communiste, plus question d'honorer un affreux capitaliste. On a déboulonné sa statue mais quelques années plus tard, une petite statue noire à l'effigie du même a fait son apparition au centre du même jardin et les Chinois de Cholon ont repris leurs révérences. Qu'à cela ne tienne, le gouvernement a installé un beau drapeau rouge à étoile jaune de la République Socialiste du Vietnam au même endroit ... Comme cela, les Chinois rendent en même temps hommage au fondateur du marché et au pouvoir communiste vietnamien. Bien dans la ligne du "communisme rénové" qui tient le haut du pavé dans le Vietnam actuel! 
Au marché de Cholon, on trouve absolument de tout : épicerie, habits, droguerie, pharmacie, légumes et fruits, produits de conserve ou séchés, bombons, petits restaurants, ... au beau milieu d'un capharnaüm gigantesque. Par comparaison, les souks arabes font figure d'entrepôts ridiculement petits et extrêmement ordonnés. 
La laque est un des arts du Vietnam. Dans un magasin pour touristes, les différentes étapes de la fabrication nous sont montrées. Il y faut beaucoup de minutie et de sens artistique.
Le Palais de la Réunification, anciennement Palais du Gouverneur de Cochinchine, a été avant 1975 le siège de la Présidence du Sud-Vietnam et a connu plusieurs épisodes dramatiques : 
  • le coup d'Etat de 1963 au cours duquel fut assassiné le Président Ngo Dinh Diem, un nationaliste catholique qui réprima fortement les bouddhistes et résista aux Américains qui souhaitaient envoyer leurs troupes combattre l'insurrection communiste
  • le bombardement du Palais le 8 avril 1975 par un pilote de l'Armée de l'Air sud-vietnamienne, membre clandestin du Parti Communiste. 
  • et enfin, la reddition du dernier Président et la capitulation de son armée le 30 avril 1975. 
Le massacre de My Lai par les troupes américaines en 1968 - qui ressemble par beaucoup d'éléments à celui perpétré par les Allemands en 1944 à Oradour-sur-Glane -  est mis en avant dans le petit musée photographique, de même que l'évacuation en hélicoptère de l'Ambassade américaine le 30 avril 1975 qui marque la fin de la présence des Etats-Unis au Vietnam pour de nombreuses années.
Toutes les rues de Saïgon / Ho Chi Minh-Ville qui portaient des noms français ont été renommées en 1975 avec des personnalités vietnamiennes. Seuls Calmette - le découvreur du vaccin contre la tuberculose - , Pasteur - le découvreur du vaccin contre la rage - , Yersin - le découvreur du bacille de la peste, mort au Vietnam - et Marie Curie ont trouvé grâce aux yeux du nouveau pouvoir, ainsi qu'Alexandre de Rhodes, le jésuite qui a inventé vers 1650 l'écriture vietnamienne romanisée (le quoc ngu) utilisée depuis 1954. Mais la fièvre nationaliste ne s'est pas arrêtée pas là. Tous les étrangers établis sur le sol vietnamien durent soit partir, soit se "vietnamiser". Ceci concernait surtout les Chinois de Cholon qui durent choisir un patronyme vietnamien. Toutes les indications en chinois durent aussi être supprimées. Partout au Vietnam, hormis dans les temples où le chinois fait figure de langue sacrée, les caractères chinois sont absents, contrairement à ce que l'on observe au Cambodge et au Laos où les communautés chinoises utilisent leur propre langue. Il faut dire que Mao Ze Dong n'avait pas rassuré les pays dans lesquels vivaient un nombre important de Chinois en affirmant que la Chine s'étendait partout où le mandarin était pratiqué !
La Cathédrale et la Poste, deux bâtiments datant de la présence française, se font face, encore en bon état. Tous les matériaux de construction de la Cathédrale ont été préparés en France, expédiés à Saïgon par bateau, et ils ont juste été assemblés ici selon le pan établi. Un véritable Lego à grande échelle.
La Poste, qui porte les effigies de savants français, et, curieusement, de Louis XI - parce qu'il est le fondateur du système de poste français - semble tout droit sortie d'une photographie des années 193. Mais, à l'intérieur, un gigantesque portrait de l'Oncle Ho rappelle que la roue de l'Histoire a tourné. 
En début d'après-midi, il ne nous reste plus qu'à nous diriger vers l'aéroport pour ne pas rater notre avion vers Hué. Nous voyageons en classe affaires parce que l'avion est plein en cette période de vacances. Alors, on a droit au salon VIP avec un repas et des boissons ... Adieu et merci à Lung qui nous a si bien expliqué l'histoire, la culture et la vie quotidienne de son pays. Départ de notre vol vers Hué avec une heure de retard seulement; un vrai miracle compte tenu de l'affluence dans les aéroports vietnamiens en ces jours de fête.



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