Les Dasenetchs habitent à cheval sur la frontière de l'Ethiopie et du Kenya. Depuis Turmi jusqu'à Omorate, il y a une bonne route, goudronnée la plupart du temps sur les 70 kilomètres du parcours. Cet itinéraire a été complètement remis en état par les Chinois qui en avaient besoin pour accéder à une zone de prospection pétrolière qui leur a été allouée par le gouvernement éthiopien.
Cette situation permet de dire quelques mots des projets industriels censés garantir le développement économique de la région. Le Sud de vallée de l'Omo regorge de ressources naturelles et de larges rivières et forêts. Mais la vallée est de nos jours menacée par plusieurs constructions récentes: une usine sucrière qui nécessite de développer la culture de la canne à sucre sur 245 000 hectares, et le barrage Gilgel Gibe III sur l'Omo.
Ce barrage gigantesque - il s'agit du plus haut barrage d'Afrique - a été inauguré fin 2016. Il a permis à l'Ethiopie de doubler sa capacité énergétique et de fournir de l'électricité aux pays voisins. Il va servir à irriguer les énormes champs de canne à sucre et de coton voisins. Sa construction a été financée en majorité par des capitaux chinois après que les partenaires occidentaux se soient retirés du projet sous la pression des ONG et après des mises en garde de l'UNESCO.
D'après ces derniers, le barrage menace le mode de vie des populations locales vivant en aval ainsi que le Lac Turkana (situé au Kenya) classé au Patrimoine Mondial. parce qu'il est un des berceaux de l'Humanité. Il risque d'avoir un impact sur le niveau des eaux de ce lac kenyan et des répercussions sur le fleuve dont les crues sont nécessaires aux méthodes traditionnelles de culture et d'élevage des tribus locales.
D'un côté les populations locales qui ont été chassées de leurs terres pour certaines et risquent de disparaître; au moins leurs modes de vie traditionnels risquent de ne subsister très longtemps. De l'autre un développement industriel majeur qui, selon le gouvernement, permettra de créer des milliers d'emplois - principalement des Ethiopiens du Nord n'ayant pas la même culture que celle des tribus traditionnelles - et le développement d'un pays dont la croissance est très forte ... Dilemne connu ailleurs ... Les Ethiopiens devraient cependant méditer quelques expériences d'autres pays, comme par exemple celles du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan victimes de la réduction drastique de la superficie de la Mer d'Aral après les détournements massifs de l'eau vers les cultures de coton ... ou celle de l'Egypte dont les limons ne sont plus déversés en aval du grand barrage d'Assouan sur le Nil.
Pour le moment, nous suivons la belle route "chinoise" qui traverse la savane. Les acacias y sont les plus fréquents. Les termitières sont omniprésentes et souvent de grande taille.
Toujours aucun mammifère, mais quelques beaux oiseaux.
Touraco à ventre blanc (Go-away bird)
Pintade vulturine
Une fois arrivés à Omorate, il faut aller se faire enregistrer au poste de police avec son passeport. Nous ne sommes qu'à quelques kilomètres de la frontière kenyane et pas très loin non plus de celle du Sud-Soudan en pleine guerre civile. Il y a de multiples trafics, notamment d'armes; toutes les tribus ici sont équipées avec des kalachnikovs de contrebande. Devant le poste de police, l'énorme camion de globe-trotters allemand a été saisi et il est immobilisé ici ...
Nous sommes venus ici pour visiter un village Dasenetch. De tous ceux que nous auront visité en Ethiopie, c'est le plus agréable. Pas de "tarif syndical" pour prendre les photos, pas de harcèlement. Le système mis en place avec l'aide des guides éthiopiens est efficace. On paie un droit d'entrée de 100 birrs (3 €) par personne au chef de village. Ce dernier distribue les recettes à l'ensemble de la communauté. En visitant, on peut se promener comme on le souhaite, on peut (tenter de) parler ou se faire comprendre avec les gens. Les enfants sont amicaux et nous prennent la main ...
Les Dasenetchs se considèrent comme des éleveurs, même s'ils cultivent par nécessité. En dehors des rituels, ils ne mangent cependant jamais de viande car tuer un animal représente pour eux un gâchis ; ils saignent cependant les zébus pour en boire le sang, comme bien des ethnies du Sud éthiopien ou du Kenya. Bien qu’elle soit couramment pratiquée, la pêche dans l'Omo est considérée comme une activité dévalorisante. Il en va de même, pour les hommes, des travaux manuels et du commerce. Lorsqu'on cherche du travail, ça limite beaucoup les choses ...
En Ethiopie comme au Kenya, les Dasenetchs sont souvent désignés sous le nom de shanghilla, c’est-à-dire “nègres”, “individus à peau sombre”. Pourtant les Dassanetchs ne forment pas une entité ethnique unique : ils rassemblent un conglomérat de populations diverses qui ont simplement en commun les mêmes valeurs et les mêmes traditions. On ne sait depuis quand cette assimilation de différentes origines a commencé. Aujourd'hui encore, ils admettent facilement des exilés et des dissidents d’autres tribus.
Les Dasenetchs pratiquent deux cérémonies d'initiation, une pour les femmes, et une pour les hommes. Le Dimi est le rite de passage des jeunes filles dans la puberté. Une fois excisées, entre huit et dix ans, elles sont aptes à la maternité. L’événement concerne exclusivement les filles aînées mais les véritables héros de la fête sont leurs pères, qui grâce à elles accèdent au sommet de l’échelle sociale. Ils n’auront plus, dès lors, à s’occuper de problèmes contingents, mais se consacreront à l’administration et à la politique ! Le prix de cet accès au niveau supérieur est élevé; les participants au Dimi se doivent de sacrifier dix taureaux et au minimum une trentaine de chèvres et de moutons, dont la viande est distribuée aux membres du clan.
L’initiation masculine intervient à un âge avancé chez les Dasenetchs, aux alentours de la trentaine, et présente des aspects paradoxaux. Lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte, en effet, le garçon s’habille en femme, avec jupe et bijoux, et imite en tout point le comportement féminin. Il se met à jouer gentiment avec les tout-petits. Les gens du village le traitent avec une extrême gentillesse, préviennent ses besoins et le nourrissent avec des aliments préparés tout spécialement, comme cela se fait pour une jeune mère. Pourtant, cet apprentissage de la douceur laissera place, lorsque le novice sera devenu un homme, à la férocité du guerrier. Les Dassanetchs sont en effet la terreur de leurs voisins. Ils sont experts dans le maniement des armes qu'ils possèdent en grand nombre. Ils sont connus pour être cruels au combat et pour pratiquer régulièrement des razzias chez leurs voisins, et sur quiconque possède du bétail ...
Le village que nous devons visiter se trouve de l'autre côté de l'Omo et il faut d'abord monter à bord une pirogue.
Une petite marche de quelques centaines de mètres sous un vent de poussières, fréquent dans cette région, et nous voici à l'entrée du village entouré par une barrière de pieux et de branches.
Les petits enfants se promènent en général tout nus et les femmes, très élancées, ne sont habillées de tissus qu'au dessous de la taille. Elles portent plusieurs rangées de perles multicolores autour du cou.
Les huttes sont recouvertes d'herbes ou bien de tôles ondulées ! L'effet esthétique est très moyen.
Les femmes, décidément capables de tout faire ici, sont en train de construire une hutte en plantant des pieux avec de gros cailloux. D'autres apportent végétaux ou tôles ondulées.
Les femmes s'occupent aussi des enfants
D'autres femmes reviennent de la corvée de bois
A l'intérieur du village les enfants se tiennent auprès de nous ou veulent nous donner la main.
Pendant ce temps, les hommes se reposent ou jouent à l'awale. Leur rôle, c'est uniquement d'assurer la protection du village et des troupeaux avec leurs armes ... Ce n'est pas trop prenant !
Les femmes et les jeunes filles entament une ronde pour nous.
Plusieurs d'entre nous ont apporté des habits pour ce village. Avant que nous ne quittions les lieux, ils sont distribués dans la plus grande confusion. Ca donne même lieu à des bagarres. Les hommes se servent même avant les femmes et les enfants. Pénible spectacle qui gâche un peu notre visite qui s'était pourtant parfaitement déroulée jusqu'ici ...
Avec nos compagnons de voyage, les choses deviennent un peu "électriques". Nous en sommes à 3 semaines de vie commune ... Zineb avec qui nous partageons à trois l'arrière du 4x4 le moins large "explose" dans la voiture parce que Michèle lui demandait d'éviter de se coller contre elle ... Quant à Christine qui m'a fait hier quelques réflexions désagréables parce que "je ne parlais pas le même anglais qu'elle", elle tombe carrément dans les pommes en revenant d'Omorate dans le 4x4 dans lequel elle a pris place ... D'après ceux qui étaient dans son 4x4, elle était écarlate ... Se couvrir la tête avec une écharpe alors qu'il fait 40° n'est pas non plus tout à fait adapté ! Après avoir décrété il ya quelques jours qu'elle aimait la chaleur et "qu'elle était venue en Afrique pour avoir 35°", la voici qui admet être victime d'un coup de chaud ! Du coup, elle restera au repos dans sa tente du Buska Lodge pendant 2 jours. Pas facile de cohabiter avec de telles énergumènes ... Quant à moi, je préfère ne pas envenimer les choses et j'évite de faire part de mes sentiments ... L'essentiel, c'est tout de même de pouvoir profiter de notre voyage. Et il est passionnant !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire