Plusieurs peuples du Sud de l'Omo sont connus pour leurs rites d'initiation où les adolescents doivent courir sur le dos de taureaux (ukuli ou bull jumping). L'épreuve leur permet d'accéder au statut d'adulte.
Une photo de bull jumping exposée au Musée de Jinka. Ca donne envie d'en voir un !
Nous avons de la chance. Un ukuli a lieu pendant que nous séjournons en pays Hamer. Les choses sont bien organisées. Les étrangers doivent payer 600 birrs (18 €) par personne pour y assister. Le "ticket d'entrée" a sérieusement augmenté ces derniers temps. Les Hamers savent compter ! Ensuite, il n'y a pas de problème pour se promener dans le tout petit village et les champs qui l'entourent, là où va se passer la cérémonie. Aucun problème non plus pour prendre des photos. Quant aux Hamers, ils font leur fête sans se préoccuper des dizaines de touristes qui sont présents. C'est vraiment une cérémonie authentique.
A Dimeka, on prend déjà d'assaut un camion pour assister à l'ukuli. Aujourd'hui, il n'y aura qu'un seul prétendant qu'on appelle aussi ukuli. Les femmes se sont enduites le corps et les cheveux de beurre et d'argile mélangés. Beaucoup portent des grelots aux mollets qu'elles font résonner en sautant à pieds joints.
Les femmes coiffent leurs cheveux en fines dreadlocks enduites d'un mélange de beurre et d'ocre. Elles ressemblent à des Playmobils !
Grelots aux jambes
Elles commencent à boire de la "bière locale", un breuvage à base de sorgho fermenté qu'on consomme dans la demi-calebasse qui sert aussi de couvre-chef. Ca commence à faire de l'effet ! Plusieurs femmes s'embrassent langoureusement sur la bouche ...
Les hommes s'y mettent aussi, mais ils préfèrent les alcools forts comme l'arak. Les regards deviennent un peu flous.
Dans l'après-midi, quelques femmes préparent à manger. Des haricots noirs cuisent dans un grand fait-tout sur lequel elles versent une sorte de farine. Ca a l'air très roboratif ! Quand c'est prêt, elles versent le contenu du fait-tout sur une grande bâche plastique. Bon appétit !
Pour l'instant, tout est calme. Les enfants s'amusent gentiment auprès de leurs mères.
Quelques huttes sont entourées d'une palissade de grands branchages censée les protéger des attaques des bêtes sauvages.
Alors que tout est calme, un mouvement de foule se produit. Nous sommes invités à descendre vers une rivière asséchée où des zébus sont réunis. On suit le mouvement mais sitôt arrivés tout le monde remonte au village ! On apprend que l'ukuli doit respecter certains impératifs comme le fait de passer par la rivière ... Grelots et trompes s'en donnent à coeur joie. J'aperçois une femme qui a le dos lacéré et sanguinolent. Un accident ?
Pas du tout, la flagellation des femmes fait partie du rituel ! Pour comprendre, il faut revenir à la raison d'être de la cérémonie d'initiation. L'épreuve que doit réussir l'adolescent consiste à montrer sa puissance et son courage pour passer au statut envié (?) d' homme. Alors, les femmes doivent en faire de même; elles-aussi doivent montrer leur courage ... et dans la culture Hamer accepter sans broncher les morsures du fouet en est une preuve. La quasi-totalité des femmes - même des jeunes filles - ont des cicatrices de flagellation dans le dos ! Pendant ce temps-là les hommes préparent leurs badines.
Les choses s'accélèrent. Maintenant un groupe de femmes vient provoquer quelques hommes qui sont assis tranquillement. Ceux-ci, appelés mazas, sont chargés de fouetter les femmes de la famille de l'ukuli, celui qui tente l'initiation. Ils doivent être célibataires et avoir personnellement effectué et réussi le saut de taureaux. Les femmes les apostrophent, chantent, sonnent de la trompe plus fort que jamais, sautent avec leurs grelots.
C'est l'heure d'une nouvelle séance de flagellation ! Une femme presse un jeune maza de la fouetter avec sa badine flexible. Lorsque ce dernier se lève, elle se fige devant lui, debout, un bras levé, impassible. Le coup attendu claque. Alors elle s'en retourne, fière de montrer son acte de courage. D'autres femmes se bousculent en réclamant d'être fouettées à leur tour. Sans larmes, sans cris, les femmes demandent aux mazas de les battre encore plus fort. Plus grande est leur douleur, plus forte est censée être la dévotion qu’elles montrent envers l’ukuli et les hommes de leur clan. Les mazas ne semblent pourtant pas vraiment motivés pour accomplir ce rituel violent et repoussent les femmes à plusieurs reprises.
On passe à l'étape suivante ... Hommes et femmes se dirigent maintenant vers l'enclos du village.
Seules les femmes chantent et se mettent à danser en rond. Pendant ce temps, la famille de l'ukuli distribue de l'arak aux hommes assis par terre.
Les hommes valeureux qui ont vaincu un ennemi ou abattu un animal féroce s'enduisent la chevelure d'argile qui, une fois séchée, forme une calotte au dessus de laquelle est plantée une plume d'autruche. ou bien un pompon. Les Hamers attachent beaucoup d'importance à leur apparence.
Celui-ci s'est peint des chaussettes.
Cela fait maintenant des heures que nous sommes là et le soleil est bientôt couché. Il va être temps d'entrer dans le vif du sujet ! L'animation se déplace vers un champ où ont été amenés une trentaine de zébus. Petit à petit, l'assistance se remplit : hommes armés de kalashnikovs - un peu inquiétant vu la consommation d'alcool -, femmes en transe qui se rassemblent en cercle pour sauter en rythme, au son des trompes et des grelots de chevilles.
Le cercle de Hamers et de visiteurs qui s'est formé autour du troupeau se réduit de plus en plus. Les femmes très excitées traversent le troupeau en hurlant dans un tintamarre assourdissant. Les zébus tournent en rond de plus en plus serrés, ils sont effrayés. De jeunes hommes qui ont récemment passé l’épreuve, mais qui sont encore trop jeunes pour se marier sont chargés de mettre en place un groupe d'une dizaine de zébus flanc contre flanc. Ils les saisissent par la queue et par le museau pour les maintenir immobiles
C'est le moment tant attendu. Le jeune prétendant appelé aïké, très jeune - il n'a pas 14 ans - reconnaissable à ses cheveux regroupés sur le sommet du crâne fait une entrée discrète dans l'arène. Il se débarrasse de sa peau de chèvre, prend son élan, saute sur l'échine du premier taureau et court sur le dos des bêtes, entièrement nu. Il doit parcourir sans trébucher la rangée de zébus puis recommencer l'exploit en sens inverse. Deux aller-retours sans tomber sont nécessaires pour réussir l'épreuve.
Notre aïké a réussi sa course. Il est devenu un maza et sera désormais considéré comme un homme qui peut se marier. Comme il est encore très jeune, il pourra attendre un peu ! Le novice est acclamé par le village.
Il a bien fait de réussir. Si cela n'avait pas été le cas, il aurait eu le droit de faire un deuxième essai dans un an. Mais si, par malheur, il avait échoué une deuxième fois, il aurait dû subir l'humiliation suprême; il aurait été la proie des railleries de tout le village, peut-être publiquement flagellé et battu par les femmes de sa propre famille ou bien banni. C'est qu'elles-même auraient reçu des coups de fouets pour rien !! Triste sort.
Au moment de quitter les lieux, je repense à ce moment extra-ordinaire, fascinant, un moment de total étonnement où mes sentiments ont été très mêlés. Le spectacle de ces femmes flagellées est pour nous, Occidentaux, difficile à supporter même si on en comprend bien le sens. Mais il y a une différence entre comprendre et accepter ... Nous n'avons pas la même façon de voir les choses. Tout ceci est tellement éloigné de notre propre culture ! Pour nous, ces femmes sont battues - même si elles acceptent leur sort et ont intériorisé leur soumission - mais pour les Hamers, elles sont courageuses et fières de l'être. Je ne sais pas si ce genre de rites - il y en a d'autres comme le donga, un combat de bâton qui se termine parfois par la mort de participants ou bien l'excision - que nous considérons comme barbares est amené à se perpétuer dans le futur. Le gouvernement éthiopien a officiellement banni donga et excision, et pourtant ces traditions continuent d'exister. Dans le cas de l'ukuli comme celui des "femmes à plateau" chez les Mursis, cela devient, en plus d'une tradition ancestrale, une source de revenus pour les communautés autochtones ... d'où un certain malaise.
Pour bien finir la journée Melaku a commandé à dîner une chèvre grillée dans une petite pension de Turmi. Mais le "restaurateur" n'a pas compris à quelle heure nous devions arriver et il n'a donc rien préparé à l'avance. Il a du mal à discuter avec Melaku parce qu'il ne parle pas bien l'amharique ... La soirée s'éternise autour du feu. Dans notre équipe de "bidochons" - parmi lesquels s'illustre Daniel - l'ironie et les remarques mordantes à l'égard de Melaku et du "restaurateur" fusent. Seule Annie prend les choses du bon côté. Melaku est désolé de ce contretemps; nos chauffeurs prennent les choses en main, accélèrent la cuisson de la chèvre et improvisent avec leurs propre ustensiles un petit repas improvisé de viande grillée et de légumes. Ce sont vraiment les plus gentils, ceux-là !
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