vendredi 23 février 2018

Ethiopie - La communauté d'Awramba (9)

Sur la route de Gondar, un peu à l'écart, nous faisons halte dans le village de la communauté agricole d'Awramba, fondée par Zumra Nuru, un paysan illettré révolté par les inégalités entre sexes, les mauvais traitements des personnes âgées, l'exploitation au travail, les punitions cruelles des enfants. 
 Zumra Nuru est issu d'une famille musulmane. Il raconte que dès l'âge de 2 ans il a pris conscience des problèmes de discrimination entre groupes religieux. Sa mère le surprit en train de manger de la viande que lui avaient donné ses voisins chrétiens. Or, en Ethiopie, c'est une faute pour les musulmans de manger de la viande provenant des orthodoxes (parce qu'elle est "impure"); c'est d'ailleurs aussi une faute pour un chrétien de manger de la viande provenant des musulmans pour les mêmes raisons. Aussi curieux que ça puisse paraître, même encore maintenant Orthodoxes et Musulmans ne partagent jamais de repas de viande ... La mère de Zumra Nuru jeta donc la viande qu'il mangeait en disant "C'est de la viande de chrétiens". Zumra demanda à sa mère: "les chrétiens ne sont-ils pas des êtres humains ?". Sa mère répondit que si. Zumara rétorqua :"Et nous, ne sommes nous pas des êtres humains?". Sa mère répondit que si. Zumra poursuivit :"Et alors, pourquoi ne pouvons nous pas partager la même viande ?" La mère ne sut quoi répondre ...
Plus tard, Zumra eut le projet de créer une communauté où les religions seraient bannies parce qu'il estimait qu'elles divisent les hommes. Il voulait aussi que cette communauté respecte les gens, hommes et femmes à égalité, les éduque, traite correctement aussi bien les anciens que les enfants. Il lui fallut plusieurs années avant de convaincre 19 familles de paysans illettrés de participer à son projet. La communauté s'établit en 1972 sur une cinquantaine d'hectares à Awramba, en pleine région amhara.
Zumra Nuru a été menacé aussi bien par les autorités orthodoxes que musulmanes, son projet "utopique" révolutionnaire étant jugé subversif. La communauté fut aussi persécutée par le gouvernement communiste qui avait pris le pouvoir en 1975; là, il s'agissait de combattre une idéologie hostile à la lutte des classes et à toute oppression. Sous ces pressions multiples, la communauté se dispersa et ne retrouva vie qu'en 1993, après le retour de l'Ethiopie à la démocratie. Elle retrouva alors des terres Mais des 66 membres du départ, il n'en restait plus que 19. 
Aujourd'hui, la communauté compte plus de 400 membres. Zumra Nuru n'accueille plus de nouveaux membres mais incite d'autres gens à fonder des communautés analogues. Il continue de promouvoir ses idées "utopiques" au milieu de l'hostilité des conservateurs de tout poil. Il est constamment menacé et il est protégé en permanence par un garde armé.
La communauté a l'habitude de faire visiter ses locaux. Une femme nous résume son mode de fonctionnement qui est bien expliqué dans un fascicule, en français s'il vous plait !

On peut commencer la visite par l'école maternelle. Les enfants sont scolarisés à partir de 3 ans, ce qui est exceptionnel pour l'Ethiopie. Une petite fille fait des exercices sur son cahier d'écolière. Les parents sont très fiers de leurs enfants qui ont pu poursuivre des études supérieures; dans les maisons, leurs photos, coiffés de leur toques de diplômés de l'Université, trônent en bonne place !
En uniforme, comme partout en Ethiopie

La bibliothèque possède des livres, plutôt scolaires, sur tous les sujets: sciences, histoire, géographie, langues, économie, comptabilité ... 

Les personnes âgées qui ne peuvent plus travailler sont prises en charge par la communauté, hébergées, nourries, lavées et soignées gratuitement..  Les membres de la communauté consacrent une journée par semaine à l’aide aux personnes âgées, aux malades et aux nécessiteux, à l'entretien. Les jeunes mères ont trois mois de congé maternité. Les malades sont soignés par un infirmier à plein temps, payé par la communauté. 

L'intérieur d'une maison. Préparation de l'injera. Toutes les maisons ont l'électricité. L'eau est disponible à quatre fontaines du village. Chaque habitation a un WC qui lui est propre.

Ne pouvant vivre uniquement de l'agriculture, la communauté s'est diversifiée vers le tissage, la meunerie et le commerce. La coopérative possède ainsi un atelier de tissage où travaillent les hommes aussi bien que les femmes. Le tissage est la première source de revenu de la coopérative. Tous les membres de la coopérative ont le même salaire. 

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur cette communauté. Comme le fait qu'ici les hommes s'occupent des enfants, font la cuisine, ou bien encore que les femmes ont les mêmes droits que les hommes dans les héritages, que les mariages précoces ou arrangés sont interdits ...

L'honnêteté est une des valeurs essentielles. On ne transige pas sur ce principe et si un coopérateur ne le respecte pas, s'il ment, vole, jure, se dispute ou a une conduite immorale, il sera d'abord réprimandé par le comité élu avant d'être exclus s'il récidive. La vie est assez austère: pas d'alcool, pas de cigarettes, pas de khat ni même de café, pas de relations sexuelles avant le mariage, pas d'adultère ...
  
La communauté d'Awramba ne pratique aucune religion. "Au départ, nous étions chrétiens et musulmans, raconte Zumra. Mais aujourd’hui, nous croyons au même dieu créateur. Il est partout autour de nous et en nous, il n’y a pas besoin de l’enfermer dans une église ou dans une mosquée. Nous ne lui donnons pas de nom, car c’est ainsi que l’on divise les hommes, et nous ne croyons pas en une vie après la mort, dont nous n’avons aucune preuve. Le paradis, nous le construisons ici-bas, par notre labeur et la solidarité que nous nous manifestons les uns envers les autres."

C'est assez extraordinaire de voir fonctionner dans la pratique une telle organisation ! On ne nous en présente que les aspects positifs, c'est sûr, mais il n'en reste pas moins qu'il faut beaucoup de détermination pour aboutir à ce résultat ! Est-ce que ce mode d'organisation serait possible à une plus grande échelle, ce n'est pas sûr ... Par certains aspects, cette communauté me fait penser aux communautés hippies, spiritualité, drogues et sexe en moins !

Relevé quelques maximes de Zumra Nuru :
"Il y a 3 catégories de personnes sur terre: sur la plus haute marche on trouve celles qui savent et posent des question, sur la marche moyenne celles qui savent et ne demandent rien, sur la plus petite marche celles qui ne savent pas et ne demandent rien"  
"Le bien le plus précieux des êtres humains, c'est l'Humanité elle-même"




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