Le Danube marque maintenant la frontière entre la Roumanie et la
Serbie.
Les
villages serbes paraissent beaucoup moins pauvres que leurs
équivalents bulgares. L'ex-Yougoslavie a toujours permis à ses
citoyens d'aller travailler en Europe occidentale et ces émigrés
ont pu construire des maisons dans leur pays avec leurs économies
amassées à l'étranger, un peu comme le font maintenant les
Portugais.
Nous
franchissons aujourd'hui les 2 écluses Derdap-1 et 2 qui nous font
gagner 44 mètres de hauteur. Les
ouvrages datent de l'époque où Tito était le maître de la
Yougoslavie et Ceaucescu celui de la Roumanie. Mais si le nom de Tito
est resté populaire en Yougoslavie, le nom de Ceaucescu a, quant à
lui, été rayé de l'Histoire.
Les
écluses sont gigantesques et désertes. Aucun bateau ne se présente dans le sas, à
part le MS Riva. On n'aperçoit aucune activité économique en dehors des
usines hydro-électriques qui, elles, fonctionnent toujours. La
production électrique des 2 barrages représente tout de même 10%
de la consommation électrique de la Roumanie.
Ca
passe tout juste sous les ponts et il faut que l'équipage abatte
toutes les superstructures qui dépassent y compris la passerelle de
commandement.
C'est
une belle journée de bronzage et de relaxation sur le pont pour
nombre de passagers. Michèle en profite pour faire trempette dans la
piscine du pont Soleil.
Notre
conférencier, un jeune universitaire toulousain spécialiste des
Balkans profite de ce moment de répit pour tenter de nous instruire.
Son exposé est très documenté mais un peu rasoir, pas assez
synthétique. On y apprend cependant que les Balkans sont peuplés
par une mosaïque incroyable d'ethnies différentes : il y a ceux qui
en étaient les habitants d'origine, Celtes, Thraces, Illyriens,
Valaques et autres Daces qui combattaient déjà l'Empire Romain (le
Danube en constituait la frontière nord avec les Barbares). Puis
tous ceux qui sont arrivés en provenance d'Asie Centrale : les Slaves -
dont les Serbes et les Croates -, les Mongols, les Tatars et leurs
esclaves les Roms (Gitans).
Les
peuples balkaniques ont ensuite été séparés entre ceux qui
étaient sous la domination de la chrétienté d'Occident puis de
l'Autriche-Hongrie, devenus catholiques, et ceux qui étaient
sous la domination de la chrétienté d'Orient puis de l'Empire
Ottoman et qui sont devenus orthodoxes. Pendant l'occupation turque,
quelques-uns d'entre eux se sont convertis à l'Islam comme les
Albanais, une bonne partie des Bosniaques, quelques Bulgares.
Le
XIXème Siècle a vu la libération du «joug ottoman» et la
création de plusieurs pays qui ont commencé par s'affronter les uns
les autres au cours des Guerres Balkaniques : Les sentiments
nationaux serbe, croate, bulgare, qu'a fait renaître l'idéal
national de la Révolution Française, se sont fortement développés.
La volonté de l'Autriche de maintenir coûte que coûte ses
possessions dans les Balkans – l'Autriche-Hongrie était qualifiée
à l'époque de «prison des peuples» - a été à l'origine de la
Première Guerre Mondiale, après l'assassinat par un Serbe, à
Sarajevo, de l'héritier de la couronne impériale autrichienne.
Le
XXème Siècle a vu la création de la Yougoslavie réunissant les
Serbes, les Croates et les Slovènes au sein d'un même état,
l'agrandissement de la Roumanie au détriment de la Hongrie, le
rapetissement de la Bulgarie … avant que la Deuxième Guerre
Mondiale ne rebatte à nouveau les cartes. Parmi tous les états
balkaniques, certains ont choisi, ou se sont vu imposer, de s'allier
à l'Allemagne hitlérienne : Hongrie, Croatie, Roumanie,
Bulgarie. D'autres ont résisté : Serbie et Grèce.
Puis
l'Europe a été coupée en deux. Bloc soviétique d'un côté, bloc
occidental de l'autre, la Yougoslavie faisant profession de non
alignement, bien qu'ayant un régime communiste. A l'effondrement du
bloc communiste en 1989, les nationalismes ont de nouveau prospéré
et ont alors commencé alors les guerres en ex-Yougoslavie :
entre Croatie et Serbie, en Bosnie, au Kosovo.
Les
choses se sont maintenant un peu calmées mais les tout derniers
développements ne sont pas rassurants : caillassage du
Président serbe en Bosnie qui a refusé d'admettre le génocide des
Bosniaques à Srebenica, décision du Premier ministre hongrois
d'accorder la nationalité de son pays aux habitants de Transylvanie
(située en Roumanie) parlant le hongrois, annonce par l'Albanie de
vouloir annexer le Kossovo, patrie de la Serbie
historique, pression de la Grèce pour que la Macédoine change de
nom, impact de la crise en Ukraine par laquelle transite le gaz russe
qui alimente toute la région, influence de l'Allemagne sur les pays
qui sont depuis longtemps dans sa sphère d'influence économique
(Slovénie, Croatie, Bulgarie), influence de la Russie sur les pays
orthodoxes (Grèce et Serbie). Notre conférencier n'est pas très
optimiste pour le futur de la région qui pourrait devenir une
nouvelle poudrière, surtout lorsqu'on voit la pauvreté qui se
maintient et les piètres résultats économiques obtenus dans
beaucoup de pays de la région alors même que le communisme a
disparu il y a déjà 25 ans. Et tout cela, malgré leur adhésion à
l'Union Européenne. C'est à ce moment de l'Histoire que l'Allemagne
choisit de mettre la Grèce à genoux … Tout se passe comme si,
pour certains dirigeants occidentaux, la géopolitique, et même tout simplement l'Histoire, n'existaient
pas.
Bon,
on sort de notre conférence avec le moral dans les chaussettes mais
aussi la ferme volonté de faire comprendre chez nous qu'on ne peut
pas faire table rase de la culture, de l'histoire, de la fierté, du
sentiment national – qui n'est pas le chauvinisme borné - de
chaque peuple. Il vaut mieux les connaître si on veut éviter que
les catastrophes du passé ne se reproduisent.
Heureusement,
la géographie, elle, est toujours aussi stable. Le paysage est
devenu magnifique au passage des Portes de Fer, un
rétrécissement du Danube qui se fraie un passage entre la Chaîne
des Carpates à l'Est, et celle des Balkans à l'Ouest.
Une
plaque gravée sous l'Empereur romain Trajan rappelle que le Danube se
trouvait sur le limes (la frontière) de l'Empire Romain.
Et
l'homme d'affaires roumain Joseph Dragan qui a fait fortune à
l'étranger a fait sculpter dans la roche de l'autre côté du fleuve
une gigantesque tête du dernier Roi des Daces, Décébale. Le Mont
Rushmore version roumaine.
Dans
la nuit, on aperçoit la silhouette imposante de la forteresse de Golubac.
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