samedi 20 février 2016

Inde (6) : Gandhi et la politique indienne

L'histoire moderne de l'Inde commence avec Gandhi. le Père de la Nation. En effet, le Mahatma (la "Grande Ame") Gandhi est le principal artisan de l'accession de l'Inde à l'indépendance. Sous l'Empire britannique des Indes, le pays avait été mis en coupe réglée par une poignée de colons, comme l'étaient d'ailleurs toutes les colonies des pays européens, avec l'aide de "collaborateurs" locaux au premier rang desquels on trouvait les innombrables Maharajas. Alors, le sentiment des Indiens d'être des exclus dans leur propre pays devait inévitablement générer une frustration, puis la révolte contre le colonisateur, d'autant que les Indiens étaient fiers se leur culture millénaire.
Le jeune Gandhi était issu d'une famille très religieuse de la caste des marchands du Gujarat, cet Etat que nous avons visité dans lequel de nombreuses écoles de pensée spirituelle prospèrent : hindouistes de diverses obédiences, musulmans et jaïns en particulier. Tout au long de sa vie, Gandhi fut influencé par cette culture. Un de ses maîtres à penser était un Jaïn. Il fut toujours un homme profondément religieux, attaché aux valeurs liées  l'hindouisme  - la non-violence, le végétarisme, la méditation yogique, le jeûne - tout en respectant celles du jaïnisme et de l'islam.
Mais s'il professait un profond respect pour les autres religions, il fut toujours convaincu de la supériorité de la culture indienne sur celle des autres. Plusieurs épisodes de sa vie - qu'il tenta d'ailleurs de réécrire plus tard dans son Autobiographie de 1927 -  qui eurent lieu en Afrique du Sud où il était parti trouver du travail montrent bien que son combat était avant tout celui de la défense des ses corréligionaires indiens et pas celui de la défense de tous les opprimés contre la colonisation, comme le fut le combat, certes postérieur, de Nelson Mandela.  
"Plusieurs auteurs ont noté le mépris souvent exprimé par Gandhi envers les Noirs durant son séjour en Afrique du Sud. Le procès fut instruit de façon assez détaillée par G. B. Singh en 2004, puis par deux universitaires sud-africains, A. Desai et G. Vahed en 2015.
À l'époque de l'arrivée de Gandhi en Afrique du Sud, il y a au bureau de poste de Durban deux entrées, une pour les Blancs et une pour les Noirs et les Asiatiques. Les Indiens considèrent comme un outrage d'être mis au même niveau que les Noirs. Le Natal Indian Congress pétitionne et dans un rapport d'activités de cet organisme, Gandhi annonce en août 1895 un résultat qu'il considère comme « non insatisfaisant » : il y aura désormais trois entrées, une pour les Blancs, une pour les Asiatiques et une pour les Noirs.
En 1896, Gandhi proteste contre la mise sur le même pied de l'Indien et du Noir paresseux. Les Européens « désirent nous dégrader au niveau du Cafre grossier dont l'occupation est de chasser et dont la seule ambition est de réunir un certain nombre de têtes de bétail pour acheter une femme et passer ensuite sa vie dans l'indolence et la nudité. ». Un arrêté du Natal, qui impose l'enregistrement des domestiques noirs ou « appartenant aux races non civilisées d'Asie » est, selon Gandhi, justifié à l'égard des Noirs, qui en sont encore à apprendre la dignité et la nécessité du travail, mais non à l'égard des Indiens, qui savent ces choses et qu'on fait venir parce qu'ils les savent. Gandhi relève d'ailleurs que le surintendant de police de Durban, R.C. Alexander, n'applique pas cet arrêté aux Indiens. En 1904 et en 1905, Gandhi fait la même distinction entre « les indigènes qui ne veulent pas travailler » et les Indiens « convenables, travailleurs et respectables ».
En 1905, un journal ayant reproché aux Indiens de dissimuler des cas de maladies contagieuses dont la déclaration est obligatoire, Gandhi se dit persuadé qu'une comparaison entre Européens et Indiens de même classe sociale ne révélerait aucune différence à cet égard mais il ajoute que tant qu'on ne pratiquera pas dans les hôpitaux une double ségrégation, entre Indiens et Noirs d'une part, entre Indiens de religions et de castes différentes d'autre part, les salutaires mesures de l'administration rencontreront des obstacles. Maureen Swan observe que cette revendication de Gandhi diffère peu de la ségrégation entre Blancs et non-Blancs voulue par le pouvoir blanc" (extrait de la biographie de Gandhi sur Wikipedia)
Gandhi pendant la Guerre des Boers, en Afrique du Sud 
Il n'empêche que Gandhi fut sans nul doute celui qui arriva à entraîner les masses indiennes dans le combat - toujours non-violent - contre les Britanniques. Son charisme, le sens politique  dont il fit preuve 30 ans durant (alliance des Hindous, des Sikhs et des Musulmans dans le combat contre la colonisation, promotion de la désobéissance civique, grèves de la faim, boycott des textiles anglais, "marche du sel" où il parvint à imposer aux Anglais l'abandon de l'interdiction faite aux Indiens de récolter du sel et l'abandon d'une taxe inique, mais aussi un nationalisme véhément accompagné de références constantes aux valeurs de la religion) firent de lui le leader sans égal des partisans de l'autonomie puis de l'indépendance.  Il ne négligea pas de soutenir les Intouchables et les femmes, un combat courageux dans ce pays où ceux-ci étaient (et restent) sérieusement opprimés, et pas que par les colonisateurs.
La marche du sel
Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, Gandhi refusa de s'engager dans la lutte contre le nazisme et déclara "que l'Inde ne peut pas participer à une guerre ayant pour but la liberté démocratique, alors que cette liberté est refusée à l'Inde elle-même". 
Mais il alla plus loin et écrivit à Hitler en ces termes, montrant que sa vision de la non-violence souffrait d'un certain manque de clairvoyance.
" Mon cher ami,
Des amis m’ont encouragé à vous écrire au nom de l’humanité. J’ai résisté à leur requête, pensant qu’une lettre de ma part serait une impertinence. Mais quelque chose me dit que je ne dois pas faire de calcul et que je dois faire cet appel, quel qu’en soit le prix. Il est assez clair que vous êtes aujourd’hui la seule personne au monde qui puisse empêcher le déclenchement d’une guerre pouvant réduire l’humanité à l’état sauvage. Devez-vous payer ce prix pour atteindre votre objectif, aussi précieux vous semble-t-il ? Ecouterez-vous l’appel d’un homme qui a délibérément évité la solution de la guerre, non sans un certain succès ? Je sollicite néanmoins votre pardon au cas où j’ai commis une erreur en vous écrivant. 

Je reste Votre ami sincère, Sd. M. MK Gandhi." 


La dernière campagne de Gandhi contre la présence anglaise (Quit India), en 1942,  finit par aboutir à l'indépendance, le 15 août 1947. Mais, son rêve de maintenir une Inde multi-confessionnelle unie de heurta à la volonté de la Ligue Musulmane de créer un Etat gouverné par la charia, la loi islamique. S'ensuivit d'immenses mouvements de population et des émeutes qui firent perdre la vie à 2 millions de ses compatriotes. Et cette fois-ci, les grèves de la faim de Gandhi furent inefficaces. 
Une grève de la faim de Gandhi
L'Inde britannique fut découpée en 2 Etats séparés : l'Union Indienne à majorité hindouiste et le Pakistan à majorité musulmane. Le 30 janvier 1948, Gandhi fut lui-même victime de cette partition; il fut assassiné par un Hindou nationaliste qui l'accusait d'être le responsable de l'affaiblissement de l'Inde. 
Quelques minutes avant son assassinat
S'ensuivirent 3 guerres indo-pakistanaise qui eurent comme prétexte le partage du Cachemire, un état du Nord de l'Inde dont le prince était Hindou et la population majoritairement musulmane. Cet antagonisme entre frères ennemis indiens et pakistanais est encore aujourd'hui l'élément moteur de l'existence persistante en Inde d'un terrorisme islamiste venant du Pakistan voisin.
En 1950, l'Inde se dote d'une constitution démocratique toujours en vigueur. Le premier Premier Ministre de l'Inde indépendante est Nehru, un compagnon de lutte de Gandhi, membre comme lui du parti du Congrès National Indien. Il inaugure le long "règne" de ce parti réputé de gauche. L'Inde se rapproche de l'Union Soviétique et participe à la création du Mouvement des Non Alignés (le Tiers Monde). A la mort de Nehru, après une période d'interim, c'est la fille de Nehru, Indira Gandhi qui accède au pouvoir en 1967. 
Indira Gandhi (la fille de Nehru) avec Gandhi
Elle engage une politique "socialiste" en mettant fin aux privilèges des anciens princes et en nationalisant les banques. En 1975, aux prises à une grave crise économique et impliquée dans une affaire de fraude électorale, Indira Gandhi proclame l'état d'urgence (toute ressemblance avec une autre situation est purement fortuite ...) et emprisonne ses opposants politiques. Mal lui en prend car elle perd le pouvoir en 1977 au profit d'un parti de droite, nationaliste hindou. A la suite de divisions au sein de la droite (toute ressemblance avec une autre situation est purement fortuite ...), le Congrès revient au pouvoir en 1980 avec Indira Gandhi. Cette dernière se retrouve aux prises avec une révolte des Sikhs qui demandent la création d'un Etat indépendant. Les massacres commis par l'armée indienne contre les Sikhs font qu'un garde sikh de la Première Ministre l'assassine en 1984. 
Indira Gandhi
Le fils d'Indira, Rajiv Gandhi devient alors Premier Ministre à son tour, inaugurant ainsi la "dynastie des Gandhi". Rajiv libéralise l'économie indienne, avec des résultats mitigés. Il doit composer avec d'autres partis plus à droite, en particulier le BJP (Bharatiya Janata Party), un parti nationaliste hindou. Pendant la campagne électorale de 1991, Rajiv Gandhi est assassiné par un Tamoul supporter de ses corréligionaires du Sri Lanka que le gouvernement indien avait décidé de désarmer. La période suivante voit se succéder au pouvoir alternativement le Congrès, dirigé par la veuve de Rajiv, Sonia Gandhi, affaibli par sa réputation de parti corrompu et incompétent, et le BJP de la droite nationaliste hindoue accusée de soutenir en sous-main les plus extrémistes de ses partisans qui rasent la mosquée d'Ayodhya en 1992, provoquant des conflits inter-confessionnels de plus en plus violents.
En 2014, le BJP obtient un raz de marée électoral en sa faveur. Plusieurs facteurs expliquent cela ; l'effondrement du Parti du Congrès de plus en plus coupé du peuple et de plus en plus corrompu (voir la montée des mouvements populistes anti-corruption comme celui du yogi Swami Ramdev) (toute ressemblance avec une autre situation est purement fortuite ...), l'inexpérience politique de la "dynastie Gandhi" (Sonia Gandhi et son fils Rahul), un certain sentiment de rejet de l"étrangère" Sonia Gandhi (elle est Italienne d'origine, bien qu'Indienne de nationalité et parlant parfaitement l'hindi) (toute ressemblance avec une autre situation est purement fortuite ...) et la montée du fondamentalisme hindou consécutive à la répétition des attentats terroristes des islamistes (toute ressemblance avec une autre situation est purement fortuite ...). Aujourd'hui, les Gandhi mère et fils n'ont pas bonne presse.
Sonia Gandhi
Le bénéficiaire de la situation est assurément Narendra Modi, le nouveau Premier Ministre indien, qui a été pendant 10 ans le Chief Minister du Gujarat (décidément, cet Etat joue un rôle très important en Inde ...). 
Narendra Modi
Comme on estime qu'il a été efficace pour lutter contre la corruption dans son Etat et que ses résultats économiques n'ont pas été mauvais, il a joui d'un  préjugé très favorable. Tout ceci reste à confirmer parce que la tâche de gouverner 1,2 milliards de personnes n'est pas de la même ampleur que celle consistant à gouverner les 60 millions de Gujaratis ... Les inquiétudes qui se sont fait jour, au moins au niveau international, sont plutôt liées à la politique de Narendra Modi, un ancien d'une organisation paramilitaire hindoue,  à l'égard des autres communautés. On dit qu'il aurait joué un rôle trouble en 2002, jetant de l'huile sur le feu au moment où les émeutes entre Hindous et Musulmans faisaient rage au Gujarat, avec plus de 2000 morts a Ahmedabad. Il aurait depuis fait amende honorable. Mais parmi ses partisans figurent des extrémistes partisans de la stérilisation forcée des chrétiens et des musulmans. D'autres - c'est plus anecdotique mais le symbole est révélateur - veulent remplacer le tigre comme animal national par la vache qui a évidemment une connotation plus ... hindouiste. A suivre ...
Au plan économique, l'Inde affiche une croissance insolente, supérieure à celle de la Chine. Elle fait aussi mieux que les autres économies émergentes comme le Brésil ou la Russie. Mais cette croissance qui se fait beaucoup dans le domaine des services - l'Inde jouit d'une très bonne réputation dans le domaine des technologies de l'information - ne la met malgré tout pas à l'abri de la désindustrialisation à cause de la concurrence de la Chine, du Vietnam et du Bangla Desh. La main d'oeuvre chinoise est payée trois fois plus cher que la main-d’œuvre indienne, mais la production massive de la Chine lui permet des économies d’échelle et la vente de produits à prix cassés. Le régime autoritaire chinois a d’ailleurs été un atout pour construire des autoroutes et libérer des terres, créant une infrastructure favorable. Ces différents éléments ont rendu le duel de plus en plus insoutenable et beaucoup d’entreprises indiennes positionnées sur la compétitivité prix ont dû fermer une partie de leurs usines. De manière liée, le déficit commercial de l’Inde avec la Chine est passé en 10 ans de 1,5 milliard de dollars… à 48 milliards. En outre, avec des barrières commerciales moins importantes et l’amélioration des moyens de communication, on assiste à un éclatement de la chaîne logistique : l’Inde se retrouve désormais en concurrence avec le Bangladesh ou le Vietnam pour certaines parties des processus de fabrication.
Par ailleurs, les inégalités - castes, femmes - freinent le développement du pays. L'Indice de Développement Humain - qui évalue le bien-être humain en fonction de la possibilité de vivre longtemps et en bonne santé, d’acquérir des connaissances et d’avoir un niveau de vie décent - mesuré par les Nations Unies, stagnerait depuis 2010, malgré une forte croissance du PIB, entre autres parce que les femmes ne bénéficieraient pas de cette forte croissance économique. 

Du travail pour Narendra Modi !


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