Bonne nuit, un peu écourtée par la
dureté du sommier ... En fait, ce dernier est remplacé par une
planche en bois. C'est aujourd'hui que commence mon entraînement
pour devenir un sādhu, un ascète hindou ! Nous sommes réveillés
par la musique et les percussions d'un orchestre qui joue
dans la rue. Ashok nous explique qu'il s'agit probablement d'un
mariage, et, ici, il y en a tous les jours.
La salle de bains est
bien propre mais sommaire. Il n'y a pas de receveur de douche et
l'eau qui coule lentement et épisodiquement du robinet finit sa
course sur le carrelage du sol. Ça devient glissant comme
sur une patinoire. La salle de bains fait aussi WC et Ashok nous a
aussi, chance, fourni un rouleau de papier hygiénique, en nous
précisant bien que ce n'est pas la coutume ici. Comme chez les Musulmans, on se lave avec un petit robinet d'eau sous pression. C'est efficace mais on est ensuite tout mouillé !
Vasanti nous a
préparé un bon petit déjeuner indien : des samosas (petites crêpes de
forme triangulaire fourrées aux légumes et frites dans de l'huile)
qu'on assaisonne avec toutes sortes de condiments plus ou moins
épicés, des biscuits secs du Gujarat légèrement sucrés qu'on trempe
dans notre boisson (thé noir ou café), et des céréales (de nature
indéterminée) soufflées. On essaie le lait de bufflonne, plus gras
que le lait de vache: c'est celui que les Indiens mélangent à leur
thé.
Seul Ashok nous accompagne pour le petit déjeuner. Vasanti
ne mange pas avant de s'être occupée du petit temple familial. Elle
est issue de la caste des brahmanes, les prêtres hindouistes. Tout
en récitant des prières, elle nettoie soigneusement les petites
statues de Ganesha, de Shiva - et d'autres dont je ne me souviens
plus du nom - puis les arrose avec de l'eau et du lait. Elle dispose
soigneusement de petits fleurs d'oeillets d'Inde orange à différentes places de
l'autel et saupoudre le tout avec quelques graines.
Les nouvelles
ne sont pas bonnes, me dit Ashok en me tendant le journal, écrit en
gujarati. La photo est sans équivoque. On voit un soldat muni d'une
arme. Les bruits de botte se font de nouveau sentir entre l'Inde et
son voisin le Pakistan depuis que des fanatiques islamiques venus du
Pakistan ont attaqué hier une caserne de l'armée indienne au Penjab, non loin de la
frontière.
Nous, on dirait que nous avons le chic pour attirer les
problèmes entre pays voisins ... On avait déjà vu ça entre le
Chili, le Pérou et la Bolivie, entre le Kenya et la Somalie, et dans les pays
des Balkans.
Ce matin, Vasanti qui fait partie du Conseil
d'Administration de la Citizen Bank (une petite banque locale de citoyens qui rémunère mieux ses actionnaires et prête plus facilement de l'argent)
doit se rendre à une réunion du Lions Club. Elle nous y invite. Cette œuvre de bienfaisance a réuni de l'argent pour une
belle cause. Dans la région de Nashik, comme ailleurs en Inde, les paysans sont victimes de la sécheresse. Ici, pas de Monsanto au d'autre multinationale agro-alimentaire qui rend les paysans dépendants, pieds et points liés, de leurs semences. Cette grave sécheresse a plusieurs causes: en premier lieu les précipitations qui n'ont jamais été si faibles depuis 40 ans (une situation qui se reproduit depuis plusieurs années maintenant, probablement liée au réchauffement climatique) avec une conséquence sur le niveau très bas des nappes phréatiques, le choix de cultures fortement consommatrices d'eau (canne à sucre, coton), la mauvaise gestion des ressources en eau (manque d'infrastructures d'irrigation, privatisation de l'accès à l'eau) (voir cet article sur les raisons de la sécheresse dans l'Ouest de l'Inde). Les récoltes sont faibles et les revenus largement insuffisants d'autant que le gouvernement local a supprimé des aides aux producteurs. Il n'y a donc pas assez de rentrées d'argent, tant et si
bien que les paysans doivent emprunter, et à des taux usuraires (plus de 20% l'an) à des fonctionnaires qui se sont faits prêteurs au fil du temps (voir cet article sur les producteurs de coton du Maharashtra). Ne
pouvant rembourser, de nombreux chefs de famille sont incapables
d'assurer la subsistance de leur famille, ce qui en Inde est
considéré comme la déchéance absolue; beaucoup mettent alors fin à leurs
jours en se pendant. Le Lions Club d'Ashik Corporate aidé par la Banque de
Vasanti, va distribuer aujourd'hui aux veuves l'argent récolté.
Dans une petite salle et sur l'estrade ont pris place quelques
notables. De l'autre côté de la salle, des paysannes avec de jeunes enfants, pauvres mais habillées de saris
multicolores.
La réunion commence par des discours en marathi,
la langue locale. Chaque orateur représentant une œuvre ou une
administration y va de son discours auquel nous ne comprenons que
couic. Et ils sont nombreux et prolixes! Vient ensuite la distribution des aides, dans un climat lourd.
Arrive enfin au micro une
jeune paysanne qui vient, je suppose, remercier. Mais son discours se
poursuit et on comprend très bien, à la seule intonation de sa voix
et par les larmes qu'elle réprime, qu'elle fait part de son
désespoir. Même si on ne comprends absolument rien de ce qu'elle raconte, son discours est poignant.
Je demande à Ashok ce qu'elle vient de dire. Elle vient
de perdre son mari de 28 ans. Il s'est pendu, ne pouvant pas
rembourser l'argent qu'il devait. Elle est désormais veuve avec un
bébé de 11 mois, sans ressources, et sans mari. C'est une situation qui arrive très régulièrement en Inde, me dit Ashok. Ici, il est
pratiquement impossible pour une veuve de se remarier, et même de
trouver un travail. Et évidemment, il n'y a aucune ressource versée par l'Etat. Voilà moins de 24 heures que nous sommes arrivés
en Inde, et nous sommes déjà plongés au cœur de cette société
où il est quelquefois si dur de survivre. C'est un drôle de
choc, et Vasanti s'excuse de nous avoir fait passer une matinée so
sad (si triste) ... Voilà une "expérience" qui restera longtemps gravée dans ma mémoire ...
Ashok, voulant sans doute nous montrer une image plus
réjouissante de son pays, nous emmène faire un tour au Stupa du Bouddha d'Or, au pied de la colline de Pandav. Dans une grande salle moderne, il y a une
grande statue dorée du Bouddha, toute seule, mais la particularité
du lieu réside dans l'écho que fait le moindre petit bruit. C'est
absolument extraordinaire que d'entendre le son qui revient amplifié,
en plusieurs vagues ...
Pour finir, nous allons voir le beau Temple Jaïn Shri Parshwanath Bhagwan de Villholi. Les bâtiments, ocres. et blancs, sont décorés de
stuc finement ciselé. Dans les salles de prière on psalmodie devant
la statue d'un Tîrthankara. Des moines en blanc prient
pendant que dans une salle connexe des moinillons et des femmes
habillées de façon multicolore suivent l'enseignement que délivre
un gourou.
On passe devant Décathlon, l'occasion de se remémorer
l'épisode où Ashok et Vasanti voulaient acheter une tente et des
chaises de jardin au Décathlon de Lescar ! Ce n'était pas la peine, on trouve la même chose ici, à Nashik !
Retour à la maison
pour prendre un déjeuner léger : quelques chapatis (pain indien)
accompagnés de riz, sauce curry, de haricots verts coupés en tous
petits morceaux mélangés avec des graines, et de carottes râpées.
Sieste et repos. La nuit tombe vers
18h30, peu après avoir entendu l'appel du muezzin. Il y a en effet
pas mal de musulmans ici. Les hommes portent la barbe - contrairement
aux autres Indiens dont le système pileux se limite au mieux à une
belle moustache - et ils ont souvent une calotte sur la tête. Les femmes
sont voilées de noir de la tête aux pieds, le niqab ne laissant entrevoir que les
yeux.
Ashok et Vasanti se sont couverts pour une sortie nocturne.
Nous sommes en hiver ... bien que pour nous la température soit
estivale. Il fait plus de 20°C mais c'est très frais pour qui est
habitué à subir des températures de plus de 40°C pendant la
mousson.
Nous faisons un bon tour de la ville ancienne. Il y
a une grosse animation avec de très nombreux magasins. Chaque rue à
sa spécialité.
Il y a les marchands de tissus, les bijoutiers, les
forgerons et ferblantiers, les marchands de couleurs et d'objets de
piété (statuettes métalliques des nombreux dieux du Panthéon
hindouiste). Les plus populaires sont Ganesha, le Dieu de
l'intelligence, Shiva et sa monture le taureau Nandi, Lord (le
Seigneur) Krishna, et encore Lakshmi, la Déesse de la Richesse, ...
Un ballet
incessant de mobylettes parcourt les petites rues, en klaxonnant.
Chacun essaie de se frayer un passage au milieu de la foule des
piétons. Un gros 4x4 qui répand un nuage d'insecticide censé éliminer les moustiques manque de nous étouffer. Ces gens-là ne doivent pas être Jaïns !
Ashok est né
dans ce quartier commerçant du centre ville aux vieilles maisons de
bois. Nous rencontrons son frère qui est marchand de vêtements, et
quelques amis, bijoutiers ou autres.
Michèle lui demande comment il
a bien pu devenir ce qu'il est en étant issu de ce milieu populaire.
Ashok répond fièrement: "J'ai beaucoup travaillé ... et j'ai
eu beaucoup d'amis qui m'ont soutenu".
La visite se
termine sur les bords de la rivière sacrée. Un saint homme, barbu
et chevelu à souhait - un sādhu - est installé là, par terre, auprès d'un feu
de bois. Un autre lave son linge dans la rivière. Un grand Temple Nilkantheshwar dédié à Shiva tout illuminé de guirlandes est très fréquenté. Ashok nous promet
d'y revenir de jour.
Il est temps de rentrer pour dîner.
Ashok qui aime bien l'apéritif nous offre de l'Amarula, une liqueur
crémeuse à base de lait et de café. Les amuse-gueules sont mélangés avec de l'oignon haché
et des feuilles de coriandre fraîches, achetées au marché des
légumes. Pendant ce temps, Vasanti, qui ne boit pas d'alcool, prépare
le dîner: des feuilles de riz frites accompagnées de riz au curry.
C'est très bon. Et pour finir de la banane écrasée cuisinée avec
des graines de sésame. Dans la cuisine indienne, on retrouve
beaucoup de saveurs différentes. Beaucoup de choses sont aussi très
épicées et très piquantes. Hot, very hot ... Vasanti nous dit
qu'elle est un peu stressée quand elle nous fait à manger parce
qu'elle a peur de cuisiner trop piquant !
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