lundi 16 juillet 2012

Tunisiennes : le voile et la démocratie


La question du voile revient souvent quand on parle de l'évolution des société arabes et plus généralement musulmanes. Nous avons l'habitude en France de faire du port du voile un indicateur de l'émancipation féminine et même de la démocratie. Et il est vrai que dans l'histoire ce sont souvent ceux qui se sont attaqués au voile islamique qui ont donné plus de droits aux femmes : Ataturk en Turquie, Bourguiba en Tunisie.
Ici Bourguiba retire le voile d'une tunisienne
Ces leaders étaient inspirés par une certaine idée du progrès inspirée de la philosophie des Lumières et étaient partisans d'une évolution de la société vers les standards occidentaux. Par opposition, ceux qui ont enfermé les femmes derrière la burqa comme les talibans sont aussi ceux qui leur ont interdit l'accès à l'école, développant des thèses rétrogrades.
Mais on assiste aujourd'hui avec les mouvements des Printemps arabes, aussi bien en Tunisie qu'en Libye, Egypte et Palestine, à une montée des thèses islamistes. L'Iran et la Turquie - cette dernière de manière moins radicale - avaient montré la voie il y a déjà plusieurs années. Le FIS algérien avait été écarté du pouvoir à la suite d'un coup d'état des militaires lui volant sa victoire aux élections. De nombreuses femmes ont soutenu et soutiennent encore les mouvements islamistes dans tous ces pays. En Tunisie même, le Parti islamiste Ennahda a réussi à présenter de nombreuses femmes aux élections législatives dont certaines étaient d'ailleurs non voilées: voir par exemple Souad Abderrahim élue à Tunis :
On peut évidemment prétendre – c'est ce que disent les féministes occidentales - que ces femmes sont aliénées en épousant les thèses misogynes de leurs pères ou de leurs maris, qu'elles sont sous influence. Dans ces pays, la cellule familiale et les valeurs religieuses structurent en effet très fortement la vie quotidienne.
Femmes voilées à l'Assemblée constituante tunisienne:
 

Il me semble cependant qu'un mouvement social et politique beaucoup plus profond travaille toutes ces sociétés. Après les indépendances, dans les années 50 et 60, ce sont la plupart du temps des mouvements panarabes nationalistes et autoritaires qui ont pris le pouvoir, sur le modèle du régime égyptien de Nasser : un pouvoir laïc fort, indépendant des religieux, issu de l'armée ou appuyé par elle, dont les "élites" ont la plupart du temps fait main basse sur les richesses, s'est instauré en Irak (avec Sadam Hussein et ses prédécesseurs), en Syrie (avec Hafez El Assad, puis son fils Bachar), en Libye (avec Khadafi), en Tunisie (avec Ben Ali), en Algérie (avec Boumedienne et ses successeurs). Tous ces régimes ont donné quelques droits aux femmes, essayant en cela de démontrer leur côté progressiste en comparaison de ce qui se passait dans les monarchies du Golfe qu'ils combattaient.
Leurs principaux opposants étaient la plupart du temps des mouvements religieux et en particulier les Frères Musulmans qui souhaitent le retour à des valeurs islamiques traditionnelles (la piété, la charité, la justice...) et l'application de la charia. L'Association des Frères Musulmans a été fondée en 1928 en Egypte dans le but de lutter contre "l'emprise laïque occidentale et l'imitation aveugle du modèle européen". Et voici un extrait d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme datant de 2001 : " Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention (des Droits de l'Homme), notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses."
L'échec économique et social des «socialismes arabes» incapables de donner du travail à leurs citoyens, et leur caractère oppressif ont conduit aux révolutions du Printemps arabe. Tout naturellement, les bénéficiaires politiques de ces révolutions sont ceux qui ont été le plus persécutés et qui ont partout investi les associations caritatives venant en aide au petit peuple : les partis islamistes, soutenus par les pétrodollars des monarchies du Golfe (en particulier du Qatar). La proportion grandissante du nombre de femmes portant le voile est aussi le témoin de ce mouvement d'opinion, qui rejette plus ou moins fort des valeurs «progressistes» de l'Occident qui n'ont pas empêché la misère de se développer et la corruption de prospérer.
Pour autant, les droits de femmes sont-ils menacés en Tunisie ? Il est sûr que parmi les islamistes se trouvent des fondamentalistes (les salafistes) qui voudraient remettre en cause le divorce, l'avortement, les droits du mariage et de l'héritage, le droit à l'éducation pour les femmes. Pour les Tunisiennes habituées à disposer de droits bien supérieurs à ceux de la plupart de leurs soeurs des pays arabes, il y a beaucoup à perdre et elles ne se laisseront probablement pas facilement déposséder de ceux-ci … A suivre dans les prochains mois …
Voici quelques images, glanées tout au long de notre voyage, de ces Tunisiennes : elles apparaissent effectivement le plus souvent voilées, contrairement à ce qu'on voyait il y a plusieurs années. Seules Tunis et les grandes villes font - en partie - exception. Mais, le voile intégral est tout à fait exceptionnel. Alors, Tunisiennes, défendez vos droits !


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