mercredi 28 février 2018

Ethiopie - Fête de Timkat à Lalibela (16)

Ces deux journées de fête font sans doute partie des plus belles de notre voyage. Aujourd'hui, l'Ethiopie fête l'Epiphanie orthodoxe. Dans la tradition chrétienne, l'Epiphanie (Epiphania en latin) est la grande fête de la "manifestation du Christ dans le monde". Chez nous, la tradition populaire n'en a retenu que l'adoration des Rois Mages. Mais, dans la tradition orthodoxe, l'Epiphanie (Ἐπιφάνεια en grec, ጥምቀት en amharique) célèbre surtout le baptême du Christ dans le Jourdain. D'ailleurs, le nom amharique de la fête, Timkat, signifie "baptême". La fête a lieu 12 jours après Noël, c'est-à-dire le 6 janvier. Alors, pourquoi l'Epiphanie a-t-elle lieu le 19 janvier ici ? Rappelez-vous que l'Ethiopie utilise le calendrier julien et que Noël tombe ici le 7 janvier !

L'Epiphanie est une fête plus importante que Noël pour les Ethiopîens. Toutes les églises sortent leurs "tabots", ces répliques de l'Arche d'Alliance conservées d'habitude derrière des tentures à l'écart des regards du public. Les prêtres habillés de leurs plus belles chasubles les exhibent dans les rues sous des dais. 

Les fidèles, par milliers, se sont enveloppés d'un voile blanc. Ils affluent le long de la route principale de la petite ville pour assister à la procession. Les prêtres ont trouvé refuge sous leurs parasols bigarrés.

Bien qu'ils ne soient que des répliques, les tabots sont tellement saints que de jeunes gens doivent dérouler un tapis rouge devant les prêtres pour éviter que leurs pieds touchent le sol.

Aux côtés des prêtres, des musiciens jouent du masinqo, un luth à une seule corde et du begena, une sorte de harpe dont les cordes sont en boyaux de chèvre. Des joueurs de trompes sonnent de leur instrument en continu. Des femmes lancent des youyous. Des hommes scandent des paroles en s'accompagnant avec de gros tambours. La procession est bon enfant, très joyeuse et solennelle à la fois. Tout le monde se sent concerné, à part les très nombreux touristes qui se bousculent pour avoir la meilleure photo, dérangeant l'organisation du défilé.

De jeunes gens armés de bâtons sautent en l'air en chantant, sont presque en transe, et se déplacent en groupe telles des nuées de sauterelles. Ils vont lancer des petits citrons sur les seins des belles filles qu'ils convoitent. Pas très orthodoxe !

Les enfants récitent des psaumes et les jeunes filles en costume entonnent des cantiques 

Les prêtres emmènent leurs tabots vers un grand parc où ils sont gardés pour la nuit. Alors que le soleil se lève après une nuit passée à prier devant les arches assemblées, la foule toute en blanc se rassemble autour d'une "piscine" en forme de croix grecque. Nous nous sommes levés à 5 heures pour avoir de bonnes places sur l'estrade qui fait face à la piscine. Pendant plus d'une heure nous attendons dans le noir à la seule lumière des cierges. Puis le jour se lève petit à petit, la foule grossit. Certains ont grimpé dans les arbres pour mieux voir. 

Les prêtres se mettent en place sous la conduite d'un grand ordonnateur qui vérifie le bon déroulement de la cérémonie. Arrive alors l'archevêque entouré de ses porteurs de parasols. La messe peut commencer. Une messe interminable de plus de 3 heures, ce qui est court parait-il car la durée moyenne d'une messe éthiopienne est de 4 heures ! Elle est en plus incompréhensible pour les fidèles car elle est dite en ghez, l'ancienne langue amharique; un peu comme l'étaient autrefois les messes en latin dans nos églises. Chaque prêtre y va de son intervention au micro, et ils sont très nombreux ... L'archevêque fait l'exégèse du baptême de Jesus, nous résume Melaku. Nous assistons aux prières, litanies et autres sermons ... Tout est très codifié.

La fatigue se fait sentir, même chez les prêtres ...

Ils sont équipés de sistres, un instrument qui était déjà utilisé par les anciens Egyptiens, Grecs et Romains, et qui comporte des disques métalliques qui s'entrechoquent en glissant sur des tringles fixées entre les branches d'un hochet en forme de U.  Leurs chants gutturaux et répétitifs et leurs lents déplacements en cadence évoquent pour moi une cérémonie antique ... C'est très impressionnant.

La messe touche bientôt à sa fin. C'est l'heure de la bénédiction de la "piscine".

Les prêtres peuvent alors arroser d'eau bénite les fidèles depuis une plateforme. Tout est bon pour le faire, même un tuyau d'arrosage convient ! La foule crie, demande à être aspergée. Quelques uns s'élancent dans la piscine. L'excitation est à son comble. On se bat presque. On asperge ses amis. Tous les péchés sont alors lavés ! Spectacle sidérant !


Les tabots peuvent alors retourner dans leurs églises respectives dans une nouvelle procession. Des jeunes nous abordent et nous demandent en anglais : "Comment c'était Timkat ?" , une manière d'engager la conversation avant de nous proposer un menu service - nettoyage de chaussures, vente de bibelots ou de petites croix - ou, plus subtil, de se faire photographier - "c'est la première fois qu'on me prend en photo" -  avant de nous demander notre adresse mail.

Le spectacle de cette cérémonie est extrêmement émouvant par la ferveur populaire qui l'entoure. Je l'aurai sûrement encore longtemps dans ma tête !
Il est temps de quitter Lalibela et le Nord de l'Ethiopie, en prenant l'avion pour Addis-Abeba ! Dernière vue sur les montagnes de Lalibela depuis le restaurant à la forme très originale - C'est un architecte éthiopien qui l'a conçue, dit fièrement Melaku - tenu par une Ecossaise !



mardi 27 février 2018

Ethiopie - Les églises rupestres de Lalibela (15)

Lalibela, petite ville - ou grand village - de 20 000 habitants, située à 2600 mètres d'altitude, est sainte pour les Orthodoxes éthiopiens. Elle est célèbre pour ses 11 églises médiévales taillées dans le basalte, classées au Patrimoine de l'Humanité. On a de la peine à croire qu'une si petite localité ait été la capitale d'un empire du temps de la dynastie Zagwe. Le nom de la ville vient du Roi Gebre Mesqel Lalibela (1172-1212) qui fit construire de nombreux couvents et églises après s'être converti au christianisme. A cette époque, l'expansion de l'islam faisait qu'il devenait de plus en plus difficile aux pèlerins éthiopiens de se rendre à Jerusalem. C'est pourquoi le Roi Lalibela estima nécessaire de construire une "nouvelle Jerusalem" directement dans sa ville, avec son propre Jourdain, et son propre Sinaï !

 Un ruisseau fait l'affaire pour le Jourdain (Yordannos en amharique). Une croix indique l'endroit.

Melaku nous dresse le plan de la "Jerusalem Céleste" que nous visitons aujourd'hui.

On commence par Bet Medhane Alem, la Maison du Sauveur du Monde, une église creusée profondément dans la roche. On a de la peine à croire qu'un tel travail ait été effectué pendant le règne d'un seul homme tellement c'est gigantesque ! Comme d'autres églises de Lalibela, elle a été recouverte par une affreuse toiture  métallique construite par l'UNESCO, censée la protéger des intempéries. Malheureusement, la protection - qui ressemble à une structure "aux allures de station-service" selon l'architecte Franco La Fecla - menacerait même de s'effondrer et elle sera bientôt détruite. Espérons que la nouvelle protection sera plus esthétique que celle-ci dont les horribles pieds métalliques viennent altérer notablement la vue !

A l'intérieur de la Maison du Sauveur du Monde , les fidèles se recueillent. Avant d'être un haut-lieu du tourisme en Ethiopie, Lalibela est, à la manière de Lourdes en France, un lieu où s'exprime la foi aujourd'hui.

On emprunte ensuite un couloir taillé dans la roche (le Ventre de Marie) avant d'arriver dans une petite cour, devant Bet Maryam, la Maison de Marie, la première église à avoir été creusée. Des femmes déambulent et baisent les murs. D'autres fidèles lisent les textes sacrés.

A l'intérieur de la Maison de Marie, plus petit que celui de la Maison du Sauveur du Monde, se trouve un gigantesque pilier recouvert d'un tissu. Sur ce pilier seraient inscrits les Dix Commandemdents en ghez -le vieil amharique - et en grec, ainsi que la description de la manière avec laquelle les églises de Lalibela ont été creusées , sans oublier l'histoire du début et de la fin du Monde ... Dommage qu'on ne puisse pas lire tout ça !

Dans la petite Bet Meskal, la Maison de la Croix, le prêtre bénit à tour de bras les enfants et les adultes.

Bet Danagel est consacrée aux Vierges Martyres, les 36 vierges massacrées par Hérode.

En descendant d'un niveau, c'est Bet Golgota - interdite aux femmes - qui fait référence au Nouveau Testament et Bet Mikael qui fait référence à l'Ancien Testament.

D'anciens abris étaient autrefois habités par des ermites. Maintenant, vue l'affluence, ce n'est pas vraiment un endroit calme!

On sort du complexe Nord par le Tombeau d'Adam. Dans chaque église ou sur les parvis, des fidèles - beaucoup de femmes et de vieillards - sont en prière, en train de lire à haute voix des textes sacrés, de chanter des psaumes quand ils ne sont pas en prosternation. 

Quant aux prêtres, ils sont occupés, comme partout ailleurs, à se présenter pour la photo, revêtus de leurs plus belles chasubles et présentant leurs croix, attendant qu'on verse quelque argent dans leur tronc. Pourtant l'entrée n'est pas donnée, au moins pour les touristes étrangers  puisqu'il faut verser 50 dollars par personne pour la visite des églises et encore 12 dollars pour assister aux fêtes de Timkat. Une sacrée somme - c'est le cas de le dire - pour l'Ethiopie. L'Eglise Orthodoxe a le sens des affaires !

Un deuxième groupe d'église (complexe Sud-Est) est lui aussi recouvert par ces affreuses structures métalliques. Bet Gabriel-Rafael, les Maisons des Archanges Gabriel et Rafaël, ont été creusées dans une paroi assez abrupte.
Préoccupé par les nouvelles sur son téléphone portable ?

Un réseau de passages taillés dans la roche permet de passer d'une église à une autre. Il y a même un long tunnel complètement noir appelé l'Enfer !

On aboutit à de belles églises, comme Bet Emanuel ou Bet Merkurios
Bet Emanuel
Bet Emanuel
Bet Merkurios
Devant Bet Merkurios

La dernière église, la plus belle, n'appartient à aucun ensemble. Bet Giyorgis, Saint-Georges, porte le nom du  patron de l'Ethiopie. Elle est taillée en forme de croix grecque. 

Il fallu creuser de 13 mètres pour la réaliser. Le site est magnifique et l'église bien conservée. Elle est prise d'assaut par les fidèles venus accompagner les prêtres qui ramènent les tabots après la Fête de Timkat, l'Epiphanie orthodoxe. 

Hommes et femmes chantent en dansant. C'est émouvant et magnifique !