vendredi 13 août 2010

Le Transibérien – 3 : Iekaterinenbourg (14 juillet 2010)

Le paysage semble toujours identique à lui-même: quelques cultures autour de petits villages de bois, des forêts infinies de bouleaux et de pins, beaucoup de terrains marécageux, peu de relief. Pourtant, nous venons de traverser la partie Sud des Monts de l'Oural (C'était peut-être cette nuit ?).
De temps en temps, les restes d'une usine désaffectée et des équipements servant à l'entretien du matériel ferroviaire.
Le train s'arrête toutes les 4 à 5 heures environ pour changer de locomotrice; chacune reste en effet dans le même district.
Ca nous donne l'occasion de nous dégourdir les jambes sur le quai et d'observer ce que les Russes nous proposent. Ici des planches de bois décorées.
On peut aussi observer de plus près les Transibériens russes. Les compartiments, quand il y en a, ont des couchettes sur 2 niveaux, et entre 2 rangées de couchettes, on trouve une petite table autour de laquelle les passagers sont assis en train de partager la nourriture que chacun a apportée. Il y a bien des wagons-restaurant mais leur tarif est prohibitif pour la plupart des Russes.
Nous sommes arrivés à Iekaterinenbourg (Екатеринбург, Sverdlovsk du temps de l'URSS), une ville de près de 1,5 millions d'habitants, située au pied de l'Oural, à la limite de l'Europe et de l'Asie. La ville est restée fermée aux étrangers jusqu'en 1990.
Notre accompagnatrice, Alexandra qu'on appelle Sacha, sur la ligne de séparation Asie-Europe :
là où les amoureux laissent des porte-bonheurs accrochés aux arbres
Il fait à peine 20°C, et le temps est gris, comme la ville. C'est à 15 kms de celle-ci, sur les lieux où a existé un camp, qu'un monument a été érigé à la mémoire des victimes du Goulag. Triste, très triste, et même plus que cela, cette liste de victimes de la barbarie stalinienne, presque tous morts avant leurs 40 ans. Les débats qui ont naguère eu lieu, en particulier après la publication de l'Archipel du Goulag, de Soljenitsyne, pour savoir si le système concentrationnaire soviétique était l'égal ou non du système concentrationnaire nazi, paraissent un peu vains face à cette réalité. L'écrivain Primo Levi, rescapé des camps hitlériens, pensait qu'une différence fondamentale existait parce que la volonté d'extermination planifiée était présente chez les nazis, et pas chez les soviétiques. N'empêche, au bout du compte, on est confronté à des méthodes d'oppression très ressemblantes, appliquées à une même masse énorme de victimes : entre 1934 et 1947, 15 millions de Russes sont passés par le Goulag, 1 million y sont morts.
Mais, Iekaterinenbourg est surtout connue pour avoir été le lieu de l'assassinat du dernier Tsar, Nicolas II, et de sa famille par les Bolcheviks en juillet 1918. La famille impériale était détenue dans la Maison Ipatiev depuis la Révolution d'Octobre 1917. L'ordre d'exécution est donné par Sverdlov, l'homme de confiance de Lénine, alors que l'Armée Blanche (pro-tsariste) approche de la ville. Nicolas II et sa femme, leur fils Alexis (14 ans) et leurs quatre filles, le médecin et les domestiques sont fusillés sans autre forme de procès, puis enterrés dans une forêt à quelques kilomètres de la ville. En 1990, tous les corps, sauf deux, sont retrouvés et leur ADN confirme qu'il s'agit bien de la famille impériale. En 1998, ils sont inhumés dans la Forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg. Les 2 corps manquants (ceux des enfants Alexis et Maria) sont retrouvés en 2007 et eux aussi identifiés par leur ADN. Il n'y a donc plus de «mystère Anastasia» : Anna Anderson, la femme qui pendant 50 ans a tenté de se faire passer pour la Grande-Duchesse Anastasia miraculeusement réchappée du massacre était une mystificatrice … En 2000, Nicolas II et sa famille sont canonisés et considérés comme martyrs par l'Eglise Orthodoxe (imagine-t-on canoniser Louis XVI et Marie-Antoinette ?).
Il ne reste plus qu'à construire l'Eglise-sur-le-Sang-Versé, sur le lieu de la Maison Ipatiev, rasée en 1977 sur l'ordre de Boris Eltsine, alors secrétaire du Parti Communiste de la région, parce qu'il craignait l'affluence de curieux.
La consécration a lieu en 2003. Désormais, l'establishment de la Russie moderne et l'Eglise Orthodoxe peuvent marcher d'un même pas.
Puisqu'il est dit qu'aujourd'hui est un jour triste, voici le monument dédié aux soldats morts dans les guerres perdues d'Afghanistan et de Tchétchénie (la première): «la Rose Noire».
Pour la guerre de Tchétchénie actuelle, un nombre écrasant de Russes, en tout cas tous ceux avec qui nous en avons parlé, considère qu'il s'agit d'une opération de maintien de l'ordre anti-terroriste. Il faut dire que les attentats à la bombe dans un théâtre et dans le métro ont fait plusieurs centaines de morts à Moscou même … Et puis, Poutine a promis aux Russes «qu'il irait buter (les terroristes tchétchènes) jusque dans les chiottes» je cite. C'était en 1999, et après 10 ans d'opérations de police, les WC ne sont apparemment pas encore complètement nettoyés ...
Pendant ce temps-là, un ancien combattant amputé quête dans la rue piétonne.
Le centre-ville de Iekaterinenbourg, avec sa statue de Lénine toujours en place :
Note un peu plus gaie dans cette ville décidément triste, le palais classique, repeint de neuf, qu'a fait construire un riche marchand, situé sur le Prospekt Lenina.
En revenant au train, nous passons devant l'ancienne gare de la ville :
On a installé juste devant des statues de voyageurs, très drôles :



Départ à 17h18.
Ce soir, l'Organisation a décidé de fêter le 14 juillet en nous offrant du Champagne russe. C'est Eliane, la femme de Jo le Suisse, qui entame la «Marseillaise». Les Allemands ont droit à de la vodka à titre de compensation. La pendule du wagon-restaurant est avancée d'1 heure supplémentaire. Nous en sommes à 5 heures de décalage avec la France. En route pour Novossibirsk, en pleine Sibérie.

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