jeudi 7 juin 2012

Tunis - Retour aux sources (2)

C'est par le train de banlieue TGM (Tunis - Goulette - Marsa) que l'on quitte la capitale vers la banlieue Nord de Tunis. Cette ligne de chemin de fer qui traverse le Lac de Tunis a été construite en 1872 par les Anglais, avant le protectorat français de 1881. C'est toujours un moyen de transport très fréquenté.
Depuis le centre de Tunis, on emprunte l'Avenue Habib Bourguiba en passant devant le Ministère de l'Intérieur encore protégé, plus d'un an après la Révolution de Jasmin, par des chevaux de frise quelque peu symboliques. C'est en ces lieux qu'ont eu lieu d'importantes manifestations contre le régime de Ben Ali et apparemment le gouvernement actuel dirigé par le parti islamique libéral Ennahda craint que de nouvelles manifestations motivées par le chômage persistant ou par l'adoption de lois anti-laïques puissent encore avoir lieu.
La "Révolution de Jasmin", ou "Révolution pour la dignité" comme les Tunisiens préfèrent l'appeler,  s'est déroulée en janvier 2011 et a quelquefois pris, chez les étudiants, la forme d'un Mai 68 arabe, avec 340 morts tout de même. Quelques fresques politiques fleurissent ici ou là.
 Le TGM, pris à la station Tunis-Marine, nous emmène à La Marsa, terminus de la ligne.
La Marsa et Gammarth sont les lieux résidentiels où les Tunisois viennent l'été passer une journée au bord de la mer. Arrivés à La Marsa, nous sommes déjà loin de la surpopulation de la capitale.
Il nous faut peu de temps pour repérer le Café Saf-Saf qui était inscrit au programme de Papi. C'est un des endroits réputés de La Marsa en particulier pour son chameau qui tourne sans cesse pour puiser l'eau de la source. Mais c'est vendredi, jour de prière, et le chameau n'est pas à son poste ...
Nous y buvons un café turc et Victor m'offre une petite chicha avec du tabac à la pomme. Chacun en teste le goût, mais nous n'avons pas le temps de voir des éléphants roses qu'il faut déjà repartir vers de nouvelles aventures.
Retour au TGM pour nous diriger vers Carthage-Présidence. Comme son nom l'indique, c'est à cet endroit que se trouve le Palais de la Présidence de la République, mais aussi, et c'est ce qui nous intéresse, le Lycée de Carthage, là où Papi et Mamie ont enseigné de 1951 à 1953. Voici une photo du Lycée prise à sa création en 1951 :
Je pensais qu'en ce jour de prière le Lycée serait fermé. Pas du tout. Contrairement à beaucoup de pays musulmans, le repos hebdomadaire est fixé au dimanche, ainsi qu'au samedi après-midi et tout de même au vendredi après-midi pour permettre aux fidèles de se rendre à la mosquée. En cette fin de matinée de vendredi, les élèves sont donc au Lycée. Nous nous présentons à la conciergerie et Papi explique son cas. On nous conduit immédiatement chez le Directeur qui prend sur son temps et nous fait entrer dans son bureau. L'accueil est chaleureux. Papi pose avec des élèves et des professeurs de passage qui n'en reviennent pas ...

La Conseillère d'Education nous fait visiter les salles de classe qui sont dans un état plutôt pitoyable : les tables qui ont un trou pour l'encrier ressemblent à celles de mon enfance à l'école primaire.  Cette visite est l'occasion d'échanger sur les méthodes d'éducation (finalement proches de celles de la France) et sur l'état d'esprit actuel des lycéens tunisiens (un manque de discipline et de la contestation un peu comme après Mai 68 en France); et aussi, à la faveur d'une rencontre avec une professeur voilée (ce qui était interdit du temps de Bourguiba et Ben Ali) sur le statut de la femme tunisienne. Apparemment, 2 Tunisies s'affrontent ; d'un côté celle issue du bourguibisme qui défend la séparation de la religion et de l'Etat - une certaine forme de laïcité - et les droits des femmes (divorce, avortement, droit de ne pas porter le voile), et d'autre part celle, plus traditionnelle, qui voudrait imposer petit à petit les canons d'une certaine vision de l'islam. 
Notre étape suivante est Sidi Bou Said, le village-carte postale de la Tunisie. Ici, les rues sont propres, il n'y a pas de détritus ou de gravas qui enlaidissent si souvent le paysage dans ce pays. Tout est blanc et bleu, des portes cloutées aux moucharabiehs qui occultent les fenêtres pour permettre aux femmes de voir sans être vues. Le village est magnifique et on aimerait y passer le reste de sa vie, en contemplant le Golfe de Tunis ...
Le marabout d'Abou Saïd, un sage d'origine marocaine qui vécut ici en ermite, et donna son nom au village.
 Le célèbre Café des Nattes.
Une vieille maison qui sert de cadre à un magasin de souvenirs, bien peu fréquentée ...
Quatrième étape de notre journée, Carthage, la patrie d'Hannibal - ce général qui partit avec ses 50 éléphants de combat jusqu'à Rome en traversant le détroit de Gibraltar, les Pyrénées et les Alpes - ; Carthage, la cité punique qui s'opposa pendant plusieurs siècles à Rome et fut finalement rasée par les Romains. Ca me rappelle mes cours de latin : Carthago delenda est avait dit Scipion l'Africain : "il faut détruire Carthage". Pour être détruite, elle a bien été détruite, la cité de la Reine Didon !
Un ancien professeur d'histoire joue les guides pour nous moyennant quelques dinars. Sa connaissance sur l'histoire de Carthage (punique, romaine, vandale, byzantine, arabe) est encyclopédique.  
Carthage a de tous temps représenté un symbole; après l'avoir détruite, les Romains y ont reconstruit la capitale de leur province d'Afrique; entre 1884 et 1890 les Français y ont édifié la Cathédrale Saint-Louis, siège du primat d'Afrique, restauré au profit du Cardinal Lavigerie titulaire des archidiocèses d'Alger et de Carthage.
Construite sur la colline de Byrsa, on la voit de très loin, et il faut grimper pour y arriver. "Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous côtés au soleil exposé ... "
Après l'indépendance, la Cathédrale Saint-Louis a été désaffectée pour le culte et c'est maintenant un lieu de rencontres, d'expositions ou de concerts, ou bien comme aujourd'hui, le lieu où se retrouvent les fans de foot qui veulent assister à la retransmission de la Finale de la Ligue des Champions d'Europe Chelsea-Bayern ! Avec des anges en plastique et plumes ...
Notre avant dernière station du TGM sera celle de l'Aéroport, au Kram (il y avait un ancien aérodrome dans le coin il y a bien longtemps).
En descendant l'Avenue de l'Environnement (Avenue Laperrine du temps du protectorat) nous arrivons devant la maison où Papi et Mamie étaient locataires vers 1950 et se sont connus. Séquence émotion.
Puis, tout près de là, la rue où je suis né, à côté de cette maison :
La maison où je suis né, il y a 60 ans, était celle-là (photos prises en 1967) et elle semble avoir été rasée au profit d'un immeuble du fisc local : ils ne respectent rien, ces gens-là !
L'Avenue de l'Environnement débouche sur la plage, en fait un véritable dépôt d'ordures protégé par une digue de gros rochers. J'ai bien du mal à trouver un peu de sable propre pour ramener ce souvenir à la maison.
Notre journée bien remplie se termine à la Goulette, petite ville autrefois habitée par les Italiens (c'est ici qu'habitait Claudia Cardinale) et réputée pour ses nombreux restaurants de poissons. Pour nous, ce sera un bon thé à la menthe, le meilleur de tous ceux que nous boirons en Tunisie !
Quelle journée ! Nous sommes crevés mais ravis du programme concocté par Papi.



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