vendredi 24 juillet 2015

Croisière sur le Danube (4) : Une journée en bateau sur le Danube

Le Danube marque maintenant la frontière entre la Roumanie et la Serbie.
Les villages serbes paraissent beaucoup moins pauvres que leurs équivalents bulgares. L'ex-Yougoslavie a toujours permis à ses citoyens d'aller travailler en Europe occidentale et ces émigrés ont pu construire des maisons dans leur pays avec leurs économies amassées à l'étranger, un peu comme le font maintenant les Portugais.
Nous franchissons aujourd'hui les 2 écluses Derdap-1 et 2 qui nous font gagner 44 mètres de hauteur. Les ouvrages datent de l'époque où Tito était le maître de la Yougoslavie et Ceaucescu celui de la Roumanie. Mais si le nom de Tito est resté populaire en Yougoslavie, le nom de Ceaucescu a, quant à lui, été rayé de l'Histoire.
Les écluses sont gigantesques et désertes. Aucun bateau ne se présente dans le sas, à part le MS Riva. On n'aperçoit aucune activité économique en dehors des usines hydro-électriques qui, elles, fonctionnent toujours. La production électrique des 2 barrages représente tout de même 10% de la consommation électrique de la Roumanie.
Ca passe tout juste sous les ponts et il faut que l'équipage abatte toutes les superstructures qui dépassent y compris la passerelle de commandement.
C'est une belle journée de bronzage et de relaxation sur le pont pour nombre de passagers. Michèle en profite pour faire trempette dans la piscine du pont Soleil.
Notre conférencier, un jeune universitaire toulousain spécialiste des Balkans profite de ce moment de répit pour tenter de nous instruire. Son exposé est très documenté mais un peu rasoir, pas assez synthétique. On y apprend cependant que les Balkans sont peuplés par une mosaïque incroyable d'ethnies différentes : il y a ceux qui en étaient les habitants d'origine, Celtes, Thraces, Illyriens, Valaques et autres Daces qui combattaient déjà l'Empire Romain (le Danube en constituait la frontière nord avec les Barbares). Puis tous ceux qui sont arrivés en provenance d'Asie Centrale : les Slaves - dont les Serbes et les Croates -, les Mongols, les Tatars et leurs esclaves les Roms (Gitans).
Les peuples balkaniques ont ensuite été séparés entre ceux qui étaient sous la domination de la chrétienté d'Occident puis de l'Autriche-Hongrie, devenus catholiques, et ceux qui étaient sous la domination de la chrétienté d'Orient puis de l'Empire Ottoman et qui sont devenus orthodoxes. Pendant l'occupation turque, quelques-uns d'entre eux se sont convertis à l'Islam comme les Albanais, une bonne partie des Bosniaques, quelques Bulgares.
Le XIXème Siècle a vu la libération du «joug ottoman» et la création de plusieurs pays qui ont commencé par s'affronter les uns les autres au cours des Guerres Balkaniques : Les sentiments nationaux serbe, croate, bulgare, qu'a fait renaître l'idéal national de la Révolution Française, se sont fortement développés. La volonté de l'Autriche de maintenir coûte que coûte ses possessions dans les Balkans – l'Autriche-Hongrie était qualifiée à l'époque de «prison des peuples» - a été à l'origine de la Première Guerre Mondiale, après l'assassinat par un Serbe, à Sarajevo, de l'héritier de la couronne impériale autrichienne.
Le XXème Siècle a vu la création de la Yougoslavie réunissant les Serbes, les Croates et les Slovènes au sein d'un même état, l'agrandissement de la Roumanie au détriment de la Hongrie, le rapetissement de la Bulgarie … avant que la Deuxième Guerre Mondiale ne rebatte à nouveau les cartes. Parmi tous les états balkaniques, certains ont choisi, ou se sont vu imposer, de s'allier à l'Allemagne hitlérienne : Hongrie, Croatie, Roumanie, Bulgarie. D'autres ont résisté : Serbie et Grèce.
Puis l'Europe a été coupée en deux. Bloc soviétique d'un côté, bloc occidental de l'autre, la Yougoslavie faisant profession de non alignement, bien qu'ayant un régime communiste. A l'effondrement du bloc communiste en 1989, les nationalismes ont de nouveau prospéré et ont alors commencé alors les guerres en ex-Yougoslavie : entre Croatie et Serbie, en Bosnie, au Kosovo.
Les choses se sont maintenant un peu calmées mais les tout derniers développements ne sont pas rassurants : caillassage du Président serbe en Bosnie qui a refusé d'admettre le génocide des Bosniaques à Srebenica, décision du Premier ministre hongrois d'accorder la nationalité de son pays aux habitants de Transylvanie (située en Roumanie) parlant le hongrois, annonce par l'Albanie de vouloir annexer le Kossovo, patrie de la Serbie historique, pression de la Grèce pour que la Macédoine change de nom, impact de la crise en Ukraine par laquelle transite le gaz russe qui alimente toute la région, influence de l'Allemagne sur les pays qui sont depuis longtemps dans sa sphère d'influence économique (Slovénie, Croatie, Bulgarie), influence de la Russie sur les pays orthodoxes (Grèce et Serbie). Notre conférencier n'est pas très optimiste pour le futur de la région qui pourrait devenir une nouvelle poudrière, surtout lorsqu'on voit la pauvreté qui se maintient et les piètres résultats économiques obtenus dans beaucoup de pays de la région alors même que le communisme a disparu il y a déjà 25 ans. Et tout cela, malgré leur adhésion à l'Union Européenne. C'est à ce moment de l'Histoire que l'Allemagne choisit de mettre la Grèce à genoux … Tout se passe comme si, pour certains dirigeants occidentaux, la géopolitique, et même tout simplement l'Histoire, n'existaient pas.
Bon, on sort de notre conférence avec le moral dans les chaussettes mais aussi la ferme volonté de faire comprendre chez nous qu'on ne peut pas faire table rase de la culture, de l'histoire, de la fierté, du sentiment national – qui n'est pas le chauvinisme borné - de chaque peuple. Il vaut mieux les connaître si on veut éviter que les catastrophes du passé ne se reproduisent.
Heureusement, la géographie, elle, est toujours aussi stable. Le paysage est devenu magnifique au passage des Portes de Fer, un rétrécissement du Danube qui se fraie un passage entre la Chaîne des Carpates à l'Est, et celle des Balkans à l'Ouest.
Une plaque gravée sous l'Empereur romain Trajan rappelle que le Danube se trouvait sur le limes (la frontière) de l'Empire Romain.
Et l'homme d'affaires roumain Joseph Dragan qui a fait fortune à l'étranger a fait sculpter dans la roche de l'autre côté du fleuve une gigantesque tête du dernier Roi des Daces, Décébale. Le Mont Rushmore version roumaine.
Dans la nuit, on aperçoit la silhouette imposante de la forteresse de Golubac.

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