lundi 4 mars 2013

Egypte, Croisière sur le Nil - La vie quotidienne

La première chose que les gens vous disent quand vous leur annoncez que vous partez en voyage en Egypte, c'est : "L'Egypte, maintenant, est-ce bien prudent ?". Bien sûr, l'actualité nous rappelle ces derniers temps que le pays est instable et que la Révolution commencée le 12 février 2011 avec le départ de Moubarak n'est pas terminée.
Nous revenons pourtant avec le sentiment d'avoir été en sécurité. Il y a plusieurs raisons à cela. D'abord, une police omniprésente sur tous les lieux où nous avons été. Gardes armés à l'entrée des sites touristiques, sur les quais où accostent les bateaux naviguant sur le Nil, postes de contrôle sur les routes tous les deux kilomètres (!).
Pour aller d'Assouan à Abou Simbel (280 kms à travers le désert), le voyage se fait par convoi de bus. Regoupement des bus à 4 heures du matin.
Un garde armé monte à bord de notre bus, il a une couchette dans un compartiment fermé situé juste sous mes pieds ! Lorsqu'il descend du bus au retour à Assouan, tout le monde peut voir qu'il a un colt à l'arrière de son pantalon !
Police omniprésente donc, à tel point qu'on a plutôt le sentiment de vivre sous un régime policier. Ce n'est d'ailleurs pas une nouveauté pour l'Egypte. J'avais eu le même sentiment lors de mon premier séjour ici, il y a 32 ans. Depuis, les mesures de contrôle se sont encore renforcées, en particulier depuis l'attentat islamiste de Deir El Bahari de novembre 1997 où 62 touristes avaient été tués. Et puis, maintenant que les islamistes sont au pouvoir, quel intérêt auraient-ils à assassiner des touristes ? Ils ont trop besoin des devises qu'ils apportent.
C'est que l'Egypte va mal. A la crise économique mondiale s'ajoute la méfiance des investisseurs étrangers qui s'accomodent mal d'un pays secoué par des mouvements politiques et sociaux dont l'issue est incertaine. Les touristes qui auparavant se pressaient (12 millions par an) ne viennent quasiment plus (2 millions par an). Le secteur touristique qui constitue la deuxième source de revenus du pays après les revenus du Canal de Suez est sinistré, entrainant chômage massif, régression du commerce. Au Caire, on nous dit que les nombreux immeubles en construction ne trouvent pas preneurs. Les projets sont à l'arrêt.
Depuis 2 mois, une pénurie de carburants (due parait-il à des spéculateurs) se traduit par des queues monstres aux stations-service. Hormis les bus touristiques, prioritaires, les camions, camionnettes et tracteurs font la queue pendant des heures pour avoir un peu de gasoil.
L'arrivée au pouvoir des islamistes (en juin 2012 lorsque Mohamed Morsi, le candidat des Frères Musulmans, a été élu Président de la République) n'a absolument rien réglé des problèmes économiques et sociaux qui existaient déjà sous Moubarak. Cette élection a exacerbé l'opposition entre les islamistes d'une part (les Frères Musulmans islamo-conservateurs, et les salafistes extrémistes religieux) et les forces qui leur sont hostiles : les démocrates pro-occidentaux (peu nombreux mais très actifs pendant la Révolution de 2011), les nassériens (la gauche nationaliste) et les partisans de l'ancien régime Moubarak.
Affiche de la campagne présidentielle (en haut à droite Morsi candidat du Parti de la Liberté et de la Justice)
D'autant que l'armée et la justice, des bastions de l'ancien régime, ont tout fait pour mettre des bâtons dans les roues du Président, Mohamed Morsi. Contrairement à la présentation qui nous en est faite dans nos journaux télévisés, la lutte politique en Egypte ne se résume donc pas à un combat entre les méchants (les vilains islamistes) et les bons (les démocrates). Notre guide égyptologue du Caire est bien représentative de cette frange de la population: elle regrette explicitement le pouvoir dictatorial de Moubarak (dont elle aimait la stabilité) et combat la domination des Frères Musulmans qui constitue une dictature pour elle. Pourtant, dans le régime actuel (jusqu'à présent ...), il y a des élections libres, ce qui n'était pas possible sous Moubarak. La Révolution n'en est qu'à ses débuts, et il y aura encore d'autres soubresauts. La nôtre a bien duré 5 ans (de 1789 à la fin de la Terreur) et il a fallu attendre plus de 100 ans pour que la démocratie républicaine soit définitivement établie en France ! Rien n'est gagné, rien n'est perdu ...En attendant, tous nos guides expriment ouvertement leur hostilité à Morsi et aux Frères Musulmans, ce qui prouve au moins que la dictature islamiste ne s'est pas (encore) instaurée.
La base électorale des Frères Musulmans est pour l'essentiel constituée de ruraux viscéralement attachés à l'islam et des classes populaires en général qui étaient les laissés pour compte du régime Moubarak. L'intelligentsia égyptienne (et nos guides les premiers) ne se gênent pas pour dire que ce sont les analphabètes qui ont voté pour les Frères. Il y a en effet 45% d'analphabètes en Egypte. Pourtant ceux qui sont repérés comme tels au moment de faire le service militaire ont le "droit" de faire trois ans d'armée au lieu d'un seul ... pour qu'on leur apprenne à lire, écrire et compter; mais les méthodes militaires ne doivent pas valoir celles des Ecoles privées (au premier rang desquelles se trouvent les Ecoles chrétiennes du Caire et les Ecoles privées de langues par lesquelles sont passés nos guides) fréquentées par la bourgeoisie cairote. 
90 % des Egyptiens sont musulmans - les mosquées se rappellent à notre souvenir en diffusant par haut-parleur 5 fois par jour les appels à la prière chantés par les muezzins - et 10 % sont des Coptes chrétiens orthodoxes. Ces derniers sont les héritiers des anciens Egyptiens christianisés du temps de l'Empire Romain, avant l'invasion arabe. Ils sont fortement présents dans les régions agricoles du Delta du Nil et parmi les élites intellectuelles et commerciales. Les relations entre Coptes et Musulmans étaient assez bonnes jusqu'à présent mais elles sont en train de se dégrader : un attentat a été perpétré le Jour de l'An 2011 dans une église à Alexandrie, faisant 21 morts et des Coptes ont été molestés dans des manifestations.
Quand on parle d'islamisme, on aborde rapidement le statut des femmes. A la campagne, pratiquement aucune femme n'a d'activité salariée. Voir sa femme travailler en dehors de la maison (où elle doit s'occuper des taches ménagères et de l'éducation des enfants) constitue une honte pour un fellah. En ville, les mentalités ont évolué mais seules 25% des femmes du Caire travaillent en dehors du foyer. Un de nos guides du Caire, Emad, pourtant ouvert aux cultures étrangères, nous confie d'ailleurs qu'il n'aurait pas admis que sa femme travaille ... Les femmes, on les voit faire les courses, voilées, quelquefois très voilées ; Très peu de femmes vêtues à l'occidentale, même au Caire.
Pendant ce temps-là, les hommes, au moins ceux qui sont sans travail, sont au café, en train de boire un café turc ou de fumer le narguileh ...
quand ils ne sont pas en train de travailler aux champs (voir article sur les travaux agricoles le long du Nil), d'essayer de marchander quelque chose, ou bien de récupérer un petit bakchich.
Le bakchich est un vrai sport national en Egypte : on se voit demander une pièce pour à peu près tout et n'importe quoi : pour poser pour une photo évidemment, mais aussi pour se voir indiquer un bon angle de vue, pour accéder à un endroit particulier d'un site (si possible interdit), pour s'installer à côté du conducteur de calèche, pour ...
Quant aux marchands, on est littéralement assailli dès qu'on met le pied par terre en descendant du bus. Une sorte de harcèlement qui, bien qu'extrêmement insistant, reste en général respectueux. "Viens voir mon magasin, pas obligé d'acheter, c'est pour le plaisir des yeux ..." est la phrase-clé. Au passage, tout le monde baragouine un peu de français, d'anglais, d'allemand, d'italien, d'espagnol ... Quelquefois, l'insistance est plus forte; il faut simplement rester calme sans répondre d'aucune façon à tous les trésors d'ingéniosité commerciale déployés, surtout ne pas poser un regard sur le produit proposé, encore moins demander quel est le prix, sauf si on veut se lancer dans le grand jeu du marchandage ... Se rappeler aussi que ces petits marchands n'ont souvent que ces maigres revenus pour survivre ... contrairement aux "gros magasins" dans lesquels nous emmènent nos guides qui touchent un pourcentage comme partout : ceux-là ne proposent quelquefois pas des produits de première qualité : je pense à ce magasin de papyrus d'Assouan dont les réalisations artistiques sont assez minables. Nous avons cependant trouvé notre bonheur dans un magasin de parfums d'Assouan. Il fournit, nous dit-il, tous les parfumeurs de Grasse ! Même si nous ne reconnaissons pas le parfum Shalimar de Michèle, leurs petites fioles sentent drôlement bon ...
Voilà pour les rapides, et sommaires, impressions concernant la vie quotidienne en Egypte. Ah, si, j'oubliais une dernière chose : la propreté. Comme en Tunisie où nous sommes allés l'an dernier, ce n'est pas le fort des Egyptiens. Les ordures sont partout déversées dans les canaux du Nil qui sont de véritables cloaques, quand ce n'est pas au milieu d'un échangeur de routes, comme ici en pleine ville du Caire :
Notre guide à qui nous faisons part de notre étonnement a cette formule curieuse : "Ici, la propreté ne coûte pas cher". Comprenne qui pourra.
 
 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Compliments Alain pour ce magnifique reportage que je regarde à mon lever !
Ce pays est plein de contrastes. Et c'est dommage qu'il ne puisse pas bien exploiter sa
carte du tourisme en raison des tensions internes actuelles. Et le problème des femmes!
Cela semblait un peu mieux à Tunis. Et, chez nous, le machisme me semble encore avoir de
beaux restes . Je regrette beaucoup cette attitude car je préfère nettement le contact des
femmes. L'éducation que l' on donne à nos petits garçons ( jeux violents, goût des pistolets,
des batailles, etc.....) me semble en être responsable. Et que dire des religions !
Papi