mercredi 17 février 2016

Inde (1) - Les religions

Il est absolument impossible de rendre compte de la réalité indienne sans parler d'abord de religion, ou plutôt des religions, tellement l'observance des croyances gouverne la vie des Indiens. Tous les jours et à de multiples occasions, les religions et les coutumes qui leur sont associées déterminent le comportement des gens, qu'il s'agisse des prières - à la maison ou dans les temples -, de la façon de se vêtir, de la nourriture, du respect des vaches sacrées qui envahissent rues des villes et routes de campagne, de la méditation et du yoga, de la médecine traditionnelle ayurvédique, de la musique et du cinéma - les anciens textes épiques du Mahabharata et du Ramayana sont des sources d'inspiration importantes de Bollywood -, de la morale, des rites de la vie familiale - naissance, mariage, mort -,   du système des castes et de ses conséquences, de la politique... Je crois que je n'ai jamais vu un peuple chez lequel la religiosité était si omniprésente ... et aussi si différente de celle que nous connaissons.

D'abord, quelques mots de la religion largement majoritaire, l'hindouisme, pratiquée par 80% de la population. Son nom vient du terme Hindous donné il y a très longtemps par les Musulmans aux habitants de la vallée du fleuve Indus et qui a ensuite été utilisé par extension aux habitants de tout le sous-continent "indien".
L'hindouisme, pratiqué par 1 milliard de personnes, est la troisième religion du monde, après le christianisme et l'islam. Il n'a ni livre sacré - même s'il y a des écrits religieux fondamentaux - ni prophète fondateur. Pas de Bible ou de Coran, pas de Christ ou de Mahomet. Pas de clergé structuré. C'est une religion très ancienne qui a au moins 4000 ans. 
Pour les Hindous, le monde est régi par un ordre sacré et forme un tout. Celui-ci concerne aussi bien les astres que les cycles saisonniers terrestres, mais aussi l'organisation de la société - le système éternel des castes - et l'individu. Il existe une solidarité entre tous ces éléments. L'homme et l'Univers sont liés et l'homme porte en lui une parcelle de cet ordre sacré. L'homme n'a ni commencement ni fin, il n'est qu'un moment de l'ordre sacré universel. L'âme de l'individu va donc passer d'un corps à un autre : c'est la réincarnation. Ce passage est déterminé par le bilan des actions passées et présentes (le karma ou कर्मन् ).
Pour arrêter ce mouvement sans fin et atteindre la délivrance de l'âme, l'hindouisme propose diverses solutions. L'individu doit parcourir les quatre «âges de la vie». Il doit d'abord étudier les textes sacrés pendant son enfance. Cet enseignement doit se faire si possible auprès d'un maître (le gourou). Devenu adulte, l'individu doit accomplir durant sa vie active les devoirs sociaux et religieux spécifiques au groupe (caste ou varna ou वर्ण) auquel il appartient : les brahmanes sont les spécialistes des rites religieux, les kshatriya sont les nobles et les guerriers, les vaiçya sont les producteurs des biens matériels (paysans, marchands), les çudra, les serviteurs des trois groupes précédents. 
L'Hindou doit également procréer pour assurer sa descendance. Il contribue ainsi au maintien de l'ordre sacré du monde. Cette étape franchie, le fidèle peut entamer une retraitese retirer de la société pour méditer. Il y a une étape ultime, celle du renoncement. Le fidèle refuse toute action pouvant le rattacher au monde et espère alors la délivrance qui rompt le mouvement des réincarnations successives. Il devient un sādhu (du sanskrit साध ) qui coupe tout lien avec sa famille, Il ne possède rien ou peu de choses, s'habille d'une tunique, de couleur jaune, banche ou safran. Ils n'a pas de toit et passe sa vie à se déplacer sur les routes, se nourrissant des dons des dévots. On estime qu'il y a environ 4 millions de sādhus en Inde.
Il y a environ deux mille ans, une idée nouvelle apparaît: il est possible également d'atteindre la délivrance sans renoncer à la vie en société (ouf, plus besoin de devenir un sādhu !). Il suffit de ne faire que des actes nécessaires et désintéressés et s'en remettre totalement à l'aide des Dieux, en particulier Shiva et Vishnou. 
Un Hindou poursuit quatre buts dans sa vie : 

  • le devoir (dharma  ou  धर्म ), qui recouvre les notions de bien, de morale mais aussi la coutume
  • la prospérité matérielle (artha ou अर्थ), le succès dans les affaires, l'accroissement de la puissance et de la sécurité des possessions
  • le plaisir (kāma ou कामदेव ) que l'on peut soit , selon certains, juguler - par exemple grâce au yoga - pour ne pas en être l'esclave, soit développer comme moyen de libération en tant que tel, selon d'autres - voir le Kama Sutra

  • la libération finale de son âme (moksha ou मोक्ष) au terme du cycle des renaissances ... si on a bien agi. 
Les Hindous sont en général végétariens: pour les brahmanes, c'est obligatoire et pour les autres castes, c'est recommandé. Ils honorent les vaches qui sont des animaux sacrés.
Plusieurs sectes (au sens d'organisations religieuses "filiales" ou "branches" d'une religion principale) sont rattachées à l'hindouisme : 

  • Hare Krishna fondée en 1966 aux Etats-Unis. Elle vénère un seul Dieu, Krishna, un avatar de Vishnou. Sa liturgie fait appel aux chants et à la musique - Krishna jouait de la flûte - et à des mantras psalmodiées à l'infini. La secte a beaucoup fait parler d'elle en France dans les années 1980 quand elle été inscrite dans la liste des organisations dont la dérive devait être surveillée. On lui reprochait d'embrigader et d'isoler les enfants des membres, et de capter l'argent des fidèles. L'organisation française a ensuite quasiment disparu après que son gourou soit parti aux Etats-Unis avec la caisse. Enfin d'autres scandales se sont fait jour dans le monde, comme le viol d'enfants. Depuis l'ISKCON (son nom officiel Association internationale pour la conscience de Krishna) a mis de l'ordre chez elle et elle a acquis plus de respectabilité. Elle se consacre maintenant, entre autres, aux programmes alimentaires, en Inde comme ailleurs.
  • Swaminarayan qui porte le nom d'un saint homme. Le mouvement Swaminarayan est une secte qui a essaimé un peu partout en Inde et dans le monde depuis la mort en 1830 de son gourou fondateur (également un avatar de Vishnou). Cependant c’est au Gujarat – où Swaminarayan a fini ses jours – que la secte s’est le plus développée, ainsi que dans les pays occidentaux où la présence de la diaspora gujaratie est forte – Etats-Unis, Grande-Bretagne – et où elle récolte des fonds pour ses activités en Inde. Cette secte est très liée aux organisations extrémistes et militantes hindoues, avec les conséquences que cela a pu avoir par le passé. Des disciples de Swaminarayan ont notamment été accusés d’avoir participé aux émeutes anti-musulmanes de 2002 au Gujarat; moins de six mois plus tard, un temple Akshardham situé près d’Ahmedabad est victime d’une attaque terroriste islamiste, faisant plus de 30 morts.
  • Brahma Kumaris fondée en 1936. Son fondateur Dada Lekhraj encourage les femmes à développer leur vie spirituelle et à prendre des positions de leader au sein du mouvement, particulièrement via un groupe de neuf femmes qui dirige le mouvement, ce qui est très original dans un pays où le sexisme règne en maître.
A sa création au VIème Siècle avant Jésus-Christ, le jaïnisme s'oppose, comme le bouddhisme, à certaines pratiques de l'hindouisme, comme les sacrifices d'animaux et la toute puissance de la caste des brahmanes. Moins de 1% des Indiens - tout de même 10 millions de personnes - sont Jaïns. Ces derniers sont surtout présents dans l'Etat du Gujarat, au Nord-Ouest de l'Inde. Comme les Hindous, les Sikhs et les Bouddhistes, les Jaïns croient en la nécessité de rompre le flux perpétuel des réincarnations. Les Jaïns vénèrent 24 Tirthankaras, leurs maîtres spirituels. 
Les Jaïns doivent respecter cinq voeux 

  • Le voeu de non violence : ahimsâ. Il s'agit de la volonté de ne pas faire souffrir les créatures du monde. Il signifie "fraternité, compassion, charité universelle" ou "respect impérieux de toute vie". Ce voeu conduit les Jaïns à être végétaliens (ils ne consomment ni viande, ni poisson, ni oeufs) et à ne pas manger de légumes poussant sous terre (pommes de terre, oignons, carottes...) parce qu'en les extrayant on pourrait tuer vers de terre et insectes.Les Jaïns ne s'habillent pas avec des vêtements ou des chaussures en cuir. Les plus purs, comme les moines ou les nonnes, font attention à ne pas écraser des insectes en marchant; ils époussettent devant eux le chemin. En route dans une voiture ou en train (mais les Jaïns orthodoxes vont à pied), ils mettent un masque ou un mouchoir pour éviter d'inhaler une mouche ou un moustique ...
  • Le voeu de sincérité : satya. En termes simples, c'est ne pas dire des paroles qui font du tort, ne pas dire du mal.
  • Le voeu d'honnêteté, de refus du vol : asteva. Voler, c'est prendre ce qui n'est pas donné, mais un sens large est attribué au mot don.
  • Le voeu de chasteté : brahmacharya. Le manque de chasteté est une faute qui peut prendre des formes diverses. Pour les laïcs, le Jaïn doit pratiquer la fidélité absolue à son conjoint. Pour les ascètes (moines et nonnes), le voeu de pureté signifie le célibat absolu et l'absence de toute pratique sexuelle.
  • le voeu de non-attachement aux choses du monde, on non-possession : aparigraha. Il consiste à ne pas désirer plus que ce dont on a strictement besoin. Ainsi, l'accumulation de choses, même nécessaires, en grand nombre, l'émerveillement devant la richesse des autres, l'avidité, la transgression des limites des possessions et l'augmentation de celles existantes sont des fautes à ne pas commettre.
Ne pouvant pas être brahmanes, ni soldats, ni paysans (à cause des interdictions de leur foi), les Jaïns se sont établis comme des marchands industrieux. Leur voeu de non attachement aux choses du monde est alors quelquefois difficile à respecter ... Le jaïnisme est une religion très exigeante !

Les Bouddhistes indiens (moins de 1% de la population indienne) sont surtout localisés dans les régions de l'extrême nord du pays, proches du Tibet. Depuis 1959, le dalaï-lama a trouvé refuge en Inde, à Dharamsala. Le bouddhisme est apparu  (avec le Bouddha) en Inde au VIème Siècle avant Jésus-Christ mais n'a jamais su s'imposer dans ce pays comme une religion majeure face à l'hindouisme qui a d'ailleurs intégré le Bouddha dans son Panthéon. Certains Intouchables (hors-castes) se convertissent au bouddhisme.

Les Chrétiens indiens (environ 2 % de la population indienne) vivent principalement dans les régions du Sud . Le catholicisme a été introduit par les colons portugais de Goa, entre autres. Certains Intouchables se sont convertis au catholicisme.

Les Sikhs (environ 2% de la population indienne) vivent pour la plupart dans la capitale Delhi et dans l'Etat du Punjab, un état frontalier avec le Pakistan, situé au Nord de l'Inde. Le sikhisme est une religion assez récente, fondé sur l'enseignement des Dix gurûs. Son fondateur, le premier des gurûs, a vécu au XVIème Siècle. Il était hostile au système des castes hindouistes et regrettait l'antagonisme entre Hindous et Musulmans. Il fit d'ailleurs un pélerinage à La Mecque.
Le sikhisme se veut une religion égalitaire, où tous les fidèles sont traités de la même manière, quels que soient leur appartenance sociale ou leur sexe.  Les Sikhs sont aussi connus pour pratiquer l'aide alimentaire sans distinguer la religion de leurs bénéficiaires.
Les Parsis (quelques dizaines de milliers) sont des zoroastriens (adorateurs de Zarathoustra), dont l'origine était la Perse. Ils ont fui les persécutions des Musulmans lorsque ces derniers ont pris le pouvoir dans leur pays il y a plusieurs siècles. Une légende dit que les Parsis arrivant en bateau rencontrèrent le sultan du Gujarat de l'époque. Ne parlant pas la langue indienne, ils sollicitèrent d'être reccueillis au Gujarat en offrant un bol de lait au sultan. Ce dernier rendit le bol totalement rempli de lait pour signifier que son pays était déjà surpeuplé et qu'il ne pouvait accéder à leur demande. Alors les Parsis versèrent devant le sultan du sucre dans le bol de lait, pour dire qu'ils n'étaient pas nombreux et s'intégreraient facilement, comme le sucre dans le lait. Ainsi fut fait. De nos jours, les Parsis qui vivent pour la plupart à Mumbai, forment une communauté prospère et entreprenante. On a compté parmi eux JN Tata, le fondateur du gigantesque empire industriel indien qui porte son nom, et aussi le chef d'orchestre Zubin Mehta,  ... ou bien encore le chanteur de rock des Queens Freddy Mercury !

Les Musulmans indiens forment une forte minorité (13% de la population). Ils sont les descendants des citoyens musulmans de l'ancien Empire Britanique des Indes qui ont décidé de rester là où ils vivaient au lieu de rejoindre le Pakistan au moment de l'indépendance. 
Des conflits inter-religieux très violents eurent lieu en 1947 et 1948, au moment de la partition de l'Inde, faisant 2 millions de morts ; 1 million d'Hindous, 1 million de Musulmans. 

Ils se sont éteints, au moins temporairement jusque dans les années 1980-2000 où de nouvelles violences entre Hindous et Musulmans ont eu lieu, faisant plusieurs fois des milliers de morts, en particulier au Gujarat en 2002 (1200 Musulmans, 800 Hindous). Plusieurs attentats contre des Hindous ou des Sikhs ont été fomentés par des islamistes radicaux venant du Pakistan dans les années 2000, en particulier à Mumbai (Bombay) en 2008 : 164 morts. 

Les conflits entre Hindous et Musulmans ne doivent pas faire oublier que d'autres conflits inter-religieux on eu lieu: entre Hindous et Sikhs après l'assassinat d'Indira Gandhi en 1984 (2800 Sikhs assassinés lors de pogroms) , entre Hindous et Chrétiens dans les Etats du Nord-Est (massacre de 61 Hindous en 2000 par des Chrétiens extrémistes à Tripura; émeutes anti-chrétiennes dans l'Etat d'Orissa en 2008 : plus de 100 morts).

Le site Wikipedia List of massacres in India tient un décompte effarant de ces violences inter-communautaires ! En constatant ces épisodes sanglants qui ne cessent pas, on a de la peine à croire que l'Inde est le pays de la non-violence - idée que nos amis indiens s'efforcent pourtant de promouvoir -  même si, comme partout, la majorité de ses citoyens souhaitent vivre en paix.

Quant aux athées, ils sont très rares, et présents surtout chez les Intouchables victimes du système des castes et parmi les personnes qui ont fait des études supérieures, en particulier à l'étranger.










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