vendredi 19 février 2016

Inde (5) : Les rapports des hommes et des femmes

Quelle est la place de la femme en Inde actuellement ? La question est complexe, parce que le statut de la femme en Inde est ambigü. En effet ce sont elles que l’on remarque en premier, contrairement à d'autres cultures où la femme doit rester cachée. Elles sont partout. Leurs saris aux couleurs vives font qu'elles sont visibles et remarquées, dans les champs comme à la ville... et elles fascinent dès qu'on débarque en Inde. Selon les textes de la tradition hindoue, la Femme, en tant que ciment du couple, doit être vénérée et respectée à l'égal de la Déesse - la Shakti - compagne de chaque Dieu. Qu'observe-t-on dans la vraie vie de la plupart des Indiennes, y compris celles vivant dans des milieux économiquement favorisés ?
La philosophe féministe Simone de Beauvoir dans son ouvrage "Le Deuxième Sexe", parlant du rôle du sexisme bienveillant souvent plus efficace que le sexisme brutal dans le maintien des inégalités, avait déjà écrit écrit, dans le même ordre d'idée que "la galanterie est une contrepartie héritée des sociétés patriarcales visant à maintenir la femme dans son état d'asservissement". En Inde comme ailleurs, le "respect" de la Femme (avec un grand F) cache souvent l'oppression dont sont victimes les femmes (avec un petit f). 
La réalité des femmes indiennes est même quelquefois faite de sexisme brutal ! Le viol collectifsauvage et meurtrier d'une jeune étudiante de 23 ans en décembre 2012 à Delhi en est le cruel exemple. A l'annonce de ce décès, on a vu écrit partout en Inde "Nous ne voulons pas de vos condoléances. Nous voulons des lois contre contre les violences sexuelles". 
Des manifestations ont été organisées à Calcutta et à Mumbai. Les taxis de Delhi affichent sursur leurs vitres aujourd'hui encore des slogans comme "Le respect et la sécurité des femmes, c'est mon honneur et mon devoir" ou bien "Ce taxi respecte les femmes". Cette affaire a suscité également beaucoup de réflexions sur l'état de la société indienne dans les médias. 
Le meurtre de cette femme a déclenché une vague d’indignation et de manifestations en Inde mais au-delà de l'émotion, ce crime devrait pousser à une réflexion sur l’état de la société indienne et de ses institutions. Après la réaction judiciaire appelée de ses voeux par la population indienne, qui s'est traduite par la condamnation à mort des coupables en première instance, c’est l’attitude de la société vis-à-vis de la femme qui devrait être questionnée. Cette affaire a pris en défaut un pouvoir et une classe politique accusés d'indifférence face aux violences faites aux femmes. On a vu en effet de nombreux politiciens indiens s'exprimer pour dire que si les violeurs devaient certes être sévèrement punis, la femme violée et assassinée n'aurait tout de même pas dû avoir une attitude provocante et suggestive en donnant la main à sa compagnon en public ! Cette opinion est largement partagée, même par un de nos hôtes qui nous a fait une réflexion du même acabit. Pour s'en convaincre, il suffit de lire ces réactions qui nous semblent incroyables:
  • Abu Asim Azmi, président du Parti Maharashtra Samajwadi - un parti "socialiste" représentant les basses castes - a déclaré : « Je suis pour que les violeurs de Delhi soient condamnés à mort, mais il faudrait aussi une loi pour empêcher les femmes de porter moins de vêtements et de sortir avec des garçons qui ne soient pas de leur parenté. Quel besoin ont-elles de se promener la nuit avec des hommes qui ne sont pas de leur famille ? Il faudrait y mettre un frein. »
  • Mamata Banerjee, le Chief Minister du Bengale Occidental, constate qu'« avant, si un homme et une femme se tenaient par la main, ils se faisaient attraper et réprimander par leurs parents ; mais maintenant tout se fait si ouvertement. C'est comme un marché ouvert avec tous les choix possibles. » 
  • Le Dr Anita Shukla, scientifique au Rajmata Vijayaraje Scindia Krishi Vishwa Vidyalaya donne des conseils après coup : « Si des hommes en groupe ont l'intention de violer, ils le feront. La victime devrait se protéger en obligeant les agresseurs à rendre des comptes ... Si la fille s'était simplement rendue (au lieu de résister) quand elle était entourée par six hommes, elle n'aurait pas perdu ses intestins. Que faisait-elle dehors avec son petit ami à 10 heures du soir ? » 
  • Le parlementaire Rajpal Saini exprime sa préoccupation : « Pourquoi les femmes au foyer et les étudiantes ont-elles besoin de téléphones portables ? Ça les encourage à avoir des conversations futiles et à prendre contact avec des gens hors de leur foyer. » 
  • AP Singh, un des avocats des accusés explique que « si ma fille ou ma sœur s'engageait dans des activités prémaritales et se déshonorait tout en se permettant de perdre la face et sa moralité en faisant pareilles choses, j'emmènerais probablement cette fille ou sœur à ma ferme où, face à toute ma famille, je l'arroserais d'essence avant d'y mettre le feu »  
Même si l'Inde a été gouvernée pendant plus de 15 ans par Indira Gandhi, fille unique du libérateur Jawaharlal Nehru et depuis près de dix ans,en coulisses, par sa belle fille Sonia Gandhi, cela ne saurait faire oublier le sort réservé aux millions de femmes indiennes dans toutes les couches de la société. 
Le préjudice commence avant même la naissance puisque, facilité par les examens échographiques, l'avortement des fœtus féminins est une pratique illégale mais courante. 
Le garçon est élevé dans l’idée qu’il est supérieur et que la femme est là pour le servir et le satisfaire. C'est ce que nous avons observé dans la famille de Nashik où nous avons été hébergés et où la mère de famille était une  vraie servante pour son fils unique. 
Dans les familles pauvres, si la nourriture fait défaut, le garçon est prioritaire sur la fille et c'est la même chose pour l’éducation. 
La dot que doit apporter au mariage la fille est un autre sujet de harcèlement pour les femmes. Le phénomène s’est accru ces dernières années avec l’ouverture économique du pays et sa modernisation qui ont fait naître des désirs liés à l'argent de plus en plus grands. Près de 10.000 femmes officiellement - beaucoup plus en réalité tant il est parfois difficile de percer la cause d’un décès maquillé - sont tuées chaque année dans des incidents liés à la dot. Ces meurtres touchent particulièrement les classes moyennes émergentes dont les aspirations sont les plus grandes. Alors, non-violente, l'Inde ?
Plus libres et plus actives que dans le passé, les femmes tentent de surmonter les obstacles qui se dressent à chaque étape de leur vie. Très doucement la société évolue, mais il reste difficile aujourd’hui à une femme de vivre seule et de façon indépendante. 
Parmi elles les veuves ont un sort parmi les moins enviables. Il leur est en effet quasi impossible de se remarier. On comprend dans ces conditions le désespoir saisissant ces femmes que nous avons vu à Nashik dont le mari paysan s'était suicidé parce qu'il ne pouvait plus rembourser ses dettes. 
En Inde, personne n'aime rencontrer une veuve car cela porte malheur. Souvent, les veuves qui restent théoriquement dans la famille de leur mari sont maltraitées par cette dernière et choisissent l'exil et la mendicité. Elles se cachent le plus souvent. Cinq mille ont terminé leur exil dans des "maisons de veuves blanches" à Vrindavan, près de Delhi.
Dans la vie courante, la vie de la femme indienne modeste est très difficile. Elle doit se lever à 5 heures du matin pour préparer à manger à toute la famille, nettoyer la maison, laver le linge, puis partir travailler aux champs toute la journée, ramasser du bois ou bien parcourir des kilomètres à pied pour aller chercher de l'eau, avant de revenir faire à manger le soir pour la famille.  Si elle est pauvre, elle va subir de plus les vexations de sa belle-mère -puisqu'elle vit sous son toit - qui préférera ses autres belles filles un peu plus riches qui lui feront des cadeaux ...Partout, on voit des femmes bêtes de somme, le long des routes, dans les champs, sur les chantiers en train de porter des paniers remplis de cailloux.
Pendant ce temps, dans les villages, on peut observer dans les villages beaucoup d'hommes donner des ordres, palabrer, jouer aux cartes, lire le journal ... 
Quand ils travaillent, les hommes sont paysans, artisans, commerçants, conducteurs de camions ou de rickshaws (ces petits triporteurs à moteur), fonctionnaires appliqués à maintenir une bureaucratie tatillonne.
Dans les villes, on voit les ouvriers s'assembler le matin à la recherche d'un patron qui les emploiera à la journée. Mais le chômage est important de nos jours ...
Un autre phénomène m'a frappé, celui du nombre de femmes voilées. Je ne parle pas des musulmanes qui, pour certaines d'entre elles, portent une grande tunique noire allant jusqu'aux pieds et le niqab - le voile intégral couvrant le visage à l'exception des yeux - Celles-ci ne se distinguent pas des Saoudiennes. 
Je parle des femmes hindoues qui portent le hijab. Très difficile de savoir pourquoi beaucoup de ces jeunes femmes ont choisi, dans certaines régions comme Nashik par exemple, cette tenue que beaucoup de Français considéreraient comme un signe provocateur ... 
Il s'agit apparemment d'une tendance qui est apparue depuis quelques années seulement. D'après certains, il faut y voir l'influence des pays du Golfe sur les musulmanes indiennes qui s'est étendu à d'autres communautés, Selon d'autres il s'agirait de la volonté de se prémunir des harcèlements qu'exerceraient de plus en plus souvent les hommes sur les femmes. Une autre théorie consiste à dire qu'il s'agit d'un effet de mode lié à la volonté de ne pas abîmer sa peau au soleil. J'ai finalement renoncé à avoir une explication complète de ce phénomène qui, contrairement à ce qui se passe chez nous, n'agite pas les foules ... Deux articles donnent des points de vue un peu différents sur ce phénomène ; Femmes voilées et motorisées de Goa et Hijab en Inde: quand religion et mode font bon ménage




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