dimanche 21 février 2016

Inde (9) : Nashik, Une plongée dans la vie indienne

Bonne nuit, un peu écourtée par la dureté du sommier ... En fait, ce dernier est remplacé par une planche en bois. C'est aujourd'hui que commence mon entraînement pour devenir un sādhu, un ascète hindou ! Nous sommes réveillés par la musique et les percussions d'un orchestre qui joue dans la rue. Ashok nous explique qu'il s'agit probablement d'un mariage, et, ici, il y en a tous les jours.
La salle de bains est bien propre mais sommaire. Il n'y a pas de receveur de douche et l'eau qui coule lentement et épisodiquement du robinet finit sa course sur le carrelage du sol. Ça devient glissant comme sur une patinoire. La salle de bains fait aussi WC et Ashok nous a aussi, chance, fourni un rouleau de papier hygiénique, en nous précisant bien que ce n'est pas la coutume ici. Comme chez les Musulmans, on se lave avec un petit robinet d'eau sous pression. C'est efficace mais on est ensuite tout mouillé !
Vasanti nous a préparé un bon petit déjeuner indien : des samosas (petites crêpes de forme triangulaire fourrées aux légumes et frites dans de l'huile) qu'on assaisonne avec toutes sortes de condiments plus ou moins épicés, des biscuits secs du Gujarat légèrement sucrés qu'on trempe dans notre boisson (thé noir ou café), et des céréales (de nature indéterminée) soufflées. On essaie le lait de bufflonne, plus gras que le lait de vache: c'est celui que les Indiens mélangent à leur thé. 
Seul Ashok nous accompagne pour le petit déjeuner. Vasanti ne mange pas avant de s'être occupée du petit temple familial. Elle est issue de la caste des brahmanes, les prêtres hindouistes. Tout en récitant des prières, elle nettoie soigneusement les petites statues de Ganesha, de Shiva - et d'autres dont je ne me souviens plus du nom - puis les arrose avec de l'eau et du lait. Elle dispose soigneusement de petits fleurs d'oeillets d'Inde orange à différentes places de l'autel et saupoudre le tout avec quelques graines. 
Les nouvelles ne sont pas bonnes, me dit Ashok en me tendant le journal, écrit en gujarati. La photo est sans équivoque. On voit un soldat muni d'une arme. Les bruits de botte se font de nouveau sentir entre l'Inde et son voisin le Pakistan depuis que des fanatiques islamiques venus du Pakistan ont attaqué hier une caserne de l'armée indienne au Penjab, non loin de la frontière. 
Nous, on dirait que nous avons le chic pour attirer les problèmes entre pays voisins ... On avait déjà vu ça entre le Chili, le Pérou et la Bolivie, entre le Kenya et la Somalie, et dans les pays des Balkans.
Ce matin, Vasanti qui fait partie du Conseil d'Administration de la Citizen Bank (une petite banque locale de citoyens qui rémunère mieux ses actionnaires et prête plus facilement de l'argent) 
doit se rendre à une réunion du Lions Club. Elle nous y invite. Cette œuvre de bienfaisance a réuni de l'argent pour une belle cause. Dans la région de Nashik, comme ailleurs en Inde, les paysans sont victimes de la sécheresse. Ici, pas de Monsanto au d'autre multinationale agro-alimentaire qui rend les paysans dépendants, pieds et points liés, de leurs semences. Cette grave sécheresse a plusieurs causes: en premier lieu les précipitations qui n'ont jamais été si faibles depuis 40 ans (une situation qui se reproduit depuis plusieurs années maintenant, probablement liée au réchauffement climatique) avec une conséquence sur le niveau très bas des nappes phréatiques, le choix de cultures fortement consommatrices d'eau (canne à sucre, coton), la mauvaise gestion des ressources en eau (manque d'infrastructures d'irrigation, privatisation de l'accès à l'eau) (voir cet article sur les raisons de la sécheresse dans l'Ouest de l'Inde). Les récoltes sont faibles et les revenus largement insuffisants d'autant que le gouvernement local a supprimé des aides aux producteurs. Il n'y a donc pas assez de rentrées d'argent, tant et si bien que les paysans doivent emprunter, et à des taux usuraires (plus de 20% l'an) à des fonctionnaires qui se sont faits prêteurs au fil du temps (voir cet article sur les producteurs de coton du Maharashtra). Ne pouvant rembourser, de nombreux chefs de famille sont incapables d'assurer la subsistance de leur famille, ce qui en Inde est considéré comme la déchéance absolue; beaucoup mettent alors fin à leurs jours en se pendant. Le Lions Club d'Ashik Corporate  aidé par la Banque de Vasanti, va distribuer aujourd'hui aux veuves l'argent récolté. 
Dans une petite salle et sur l'estrade ont pris place quelques notables. De l'autre côté de la salle, des paysannes avec de jeunes enfants, pauvres mais habillées de saris multicolores. 
La réunion commence par des discours en marathi, la langue locale. Chaque orateur représentant une œuvre ou une administration y va de son discours auquel nous ne comprenons que couic. Et ils sont nombreux et prolixes! Vient ensuite la distribution des aides, dans un climat lourd.
Arrive enfin au micro une jeune paysanne qui vient, je suppose, remercier. Mais son discours se poursuit et on comprend très bien, à la seule intonation de sa voix et par les larmes qu'elle réprime, qu'elle fait part de son désespoir. Même si on ne comprends absolument rien de ce qu'elle raconte, son discours est poignant.
Je demande à Ashok ce qu'elle vient de dire. Elle vient de perdre son mari de 28 ans. Il s'est pendu, ne pouvant pas rembourser l'argent qu'il devait. Elle est désormais veuve avec un bébé de 11 mois, sans ressources, et sans mari. C'est une situation qui arrive très régulièrement en Inde, me dit Ashok. Ici, il est pratiquement impossible pour une veuve de se remarier, et même de trouver un travail. Et évidemment, il n'y a aucune ressource versée par l'Etat. Voilà moins de 24 heures que nous sommes arrivés en Inde, et nous sommes déjà plongés au cœur de cette société où il est quelquefois si dur de survivre. C'est un drôle de choc, et Vasanti s'excuse de nous avoir fait passer une matinée so sad (si triste) ... Voilà une "expérience" qui restera longtemps gravée dans ma mémoire ...
Ashok, voulant sans doute nous montrer une image plus réjouissante de son pays, nous emmène faire un tour au Stupa du Bouddha d'Or, au pied de la colline de Pandav. Dans une grande salle moderne, il y a une grande statue dorée du Bouddha, toute seule, mais la particularité du lieu réside dans l'écho que fait le moindre petit bruit. C'est absolument extraordinaire que d'entendre le son qui revient amplifié, en plusieurs vagues ...
Pour finir, nous allons voir le beau Temple Jaïn Shri Parshwanath Bhagwan de Villholi. Les bâtiments, ocres. et blancs, sont décorés de stuc finement ciselé. Dans les salles de prière on psalmodie devant la statue d'uTîrthankara. Des moines en blanc prient pendant que dans une salle connexe des moinillons et des femmes habillées de façon multicolore suivent l'enseignement que délivre un gourou. 
On passe devant Décathlon, l'occasion de se remémorer l'épisode où Ashok et Vasanti voulaient acheter une tente et des chaises de jardin au Décathlon de Lescar ! Ce n'était pas la peine, on trouve la même chose ici, à Nashik !
Retour à la maison pour prendre un déjeuner léger : quelques chapatis (pain indien) accompagnés de riz, sauce curry, de haricots verts coupés en tous petits morceaux mélangés avec des graines, et de carottes râpées. 
Sieste et repos. La  nuit tombe vers 18h30, peu après avoir entendu l'appel du muezzin. Il y a en effet pas mal de musulmans ici. Les hommes portent la barbe - contrairement aux autres Indiens dont le système pileux se limite au mieux à une belle moustache - et ils ont souvent une calotte sur la tête. Les femmes sont voilées de noir de la tête aux pieds, le niqab ne laissant entrevoir que les yeux.

Ashok et Vasanti se sont couverts pour une sortie nocturne. Nous sommes en hiver ... bien que pour nous la température soit estivale. Il fait plus de 20°C mais c'est très frais pour qui est habitué à subir des températures de plus de 40°C pendant la mousson. 
Nous faisons un bon tour de la ville ancienne. Il y a une grosse animation avec de très nombreux magasins. Chaque rue à sa spécialité. 
Il y a les marchands de tissus, les bijoutiers, les forgerons et ferblantiers, les marchands de couleurs et d'objets de piété (statuettes métalliques des nombreux dieux du Panthéon hindouiste). Les plus populaires sont Ganesha, le Dieu de l'intelligence, Shiva et sa monture le taureau Nandi, Lord (le Seigneur) Krishna, et encore Lakshmi, la Déesse de la Richesse, ... 
Un ballet incessant de mobylettes parcourt les petites rues, en klaxonnant. Chacun essaie de se frayer un passage au milieu de la foule des piétons. Un gros 4x4 qui répand un nuage d'insecticide censé éliminer les moustiques manque de nous étouffer. Ces gens-là ne doivent pas être Jaïns !
Ashok est né dans ce quartier commerçant du centre ville aux vieilles maisons de bois. Nous rencontrons son frère qui est marchand de vêtements, et quelques amis, bijoutiers ou autres. 
Michèle lui demande comment il a bien pu devenir ce qu'il est en étant issu de ce milieu populaire. Ashok répond fièrement: "J'ai beaucoup travaillé ... et j'ai eu beaucoup d'amis qui m'ont soutenu".  
La visite se termine sur les bords de la rivière sacrée. Un saint homme, barbu et chevelu à souhait - usādhu - est installé là, par terre, auprès d'un feu de bois. Un autre lave son linge dans la rivière. Un grand Temple Nilkantheshwar dédié à Shiva tout illuminé de guirlandes est très fréquenté. Ashok nous promet d'y revenir de jour. 
Il est temps de rentrer pour dîner. Ashok qui aime bien l'apéritif nous offre de l'Amarula, une liqueur crémeuse à base de lait et de café. Les amuse-gueules sont mélangés avec de l'oignon haché et des feuilles de coriandre fraîches, achetées au marché des légumes. Pendant ce temps, Vasanti, qui ne boit pas d'alcool, prépare le dîner: des feuilles de riz frites accompagnées de riz au curry. C'est très bon. Et pour finir de la banane écrasée cuisinée avec des graines de sésame. Dans la cuisine indienne, on retrouve beaucoup de saveurs différentes. Beaucoup de choses sont aussi très épicées et très piquantes. Hot, very hot ... Vasanti nous dit qu'elle est un peu stressée quand elle nous fait à manger parce qu'elle a peur de cuisiner trop piquant ! 

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