vendredi 10 avril 2015

Traversée indochinoise (36) : Dans les montagnes du Vietnam du Nord, de Nghia Lo à Mu Cang Chai

Aujourd'hui, nous y sommes, c'est le Jour de l'An lunaire. Duyên nous fait un petit cadeau traditionnel, un petit billet de 10 000 dongs dans une petite pochette de couleur rouge et or. Bonheur et Prospérité ! C'est touchant.
En ce jour de Fête du Têt, l'hôtel ne propose pas de service. Tout le monde est en congés. Nous allons donc prendre le petit déjeuner dans la famille de Thaïs Noirs qui nous a reçu hier soir pour le réveillon. On nous fait des crêpes, un plat pas du tout vietnamien, histoire de bien nous recevoir. Avec un bon café et quelques fruits. Au moment de partir, nous sommes invités à monter à l'étage pour participer ... au premier repas du Jour de l'An.
Pas question de se défiler, c'est trop important. Alors il nous faut avaler la soupe de nouilles de riz, le saucisson, le porc grillé (on dirait de la ventrèche), du bœuf avec du chou sauté, du poulet aux pousses de bambou, le tout accompagné de riz vapeur, et évidemment d'alcool de riz.
Après au moins 5 petits verres d'alcool de riz qu'il faut vider cul sec (ici on dit 100%), tout le monde est un peu gai.
Mais, nous arrivons néanmoins à monter dans la cabine de notre minibus. Beaucoup de rires et de souhaits pour la route. Direction Mu Cung Chai, dans le massif de Hiang Lien Son, le plus haut d'Indochine. 
Les rizières occupent le bas des vallées et les théiers poussent sur les collines. Plus haut, c'est une jungle inextricable qui s'élève jusqu'au sommet des montagnes.
Le long de la route, une famille de l'ethnie Kamu, c'est peu fréquent dans cette région. 
Dans le petit bourg de Tu Le, un attroupement de jeunes gens qui jouent aux cartes et parient de l'argent. C'est très animé. De grands éclats de voix accueillent la victoire d'un des parieurs.
Un chemin au milieu des rizières nous mène à un petit village habité par des Thaïs blancs. Du haut de sa maison sur pilotis, un homme nous fait signe d'entrer. Duyên n'est pas chaude du tout. C'est que le Jour de l'An n'est pas comme les autres. Normalement, on évite de faire entrer sous son toit des personnes qui risquent de vous porter la poisse toute l'année, comme des gens pauvres, des gens sans enfants, ou des gens malheureux ou malchanceux. On recherche toujours chez les Vietnamiens le bonheur et la prospérité. Alors, les inconnus ne sont pas toujours les bienvenus lors des Fêtes du Têt. Mais, dans notre cas, l'homme insiste, et finalement Duyên se résout à accepter son invitation. L'homme nous fait asseoir dans son canapé en bois et nous sert illico du thé puis un verre d'alcool de riz. Chúc Mừng Năm Mới  (Bonne Année), et Chúc Sếp Khỏe (Bonne santé) ! On le répète à chaque fois qu'on trinque ... et ce n'est pas qu'une fois ...
L'homme veut qu'on le prenne en photo avec sa femme et qu'on lui en donne une impression sur papier. Duyên explique que ce n'est pas possible tout de suite, et on convient que j'enverrai par mail les photos à Duyên, qu'elle les imprimera et les leur portera au cours d'un prochain voyage. Du coup, il dit a sa femme de mettre sa grande tenue de cérémonie de Thai Blanc.
La dame a 56 ans mais on lui en donne beaucoup plus. Elle a les dents toutes noires, Duyên explique qu'avoir des dents noires c'est un signe de beauté pour les femmes Thaïs. A 15 ans, on applique sur les dents des jeunes filles une décoction de plantes médicinales mélangée avec de l'alcool de riz. Elles doivent garder ce colorant noir pendant 3 a 4 jours, bouche ouverte, et sans toucher aux gencives. On repère l'opération 2 à 3 fois, et cette teinture devient alors définitive.
On reprend la route. Elle continue de grimper jusqu'à un col à 1500 mètres. Pour le déjeuner, pas question de compter sur un restaurant ouvert en ce jour où toute corvée est interdite ... Heureusement, avec le petit déjeuner pantagruélique que nous avons pris, nous n'avons pas très faim. Et notre chauffeur s'est procuré quelques petites douceurs  : un gâteau de riz gluant cuit dans une feuille de bananier, qui n'a goût à rien et que l'on coupe avec une ficelle. Trempé dans du sucre en poudre il fait un dessert acceptable. Quant à Duyên, sa mère lui a fabriqué un autre gâteau traditionnel (toujours du riz cuit dans une feuille de bananier) pour son petit Jour de l'An. Tout le monde en profite .... modérément.
Après le col, la route redescend vers Mu Cung Chai. Le paysage devient très beau avec de très nombreuses rizières en étages accrochées à la montagne. C'est impressionnant de voir comment la montagne est totalement découpée en tranches ...
Nous rencontrons des femmes Hmongs noirs, les premières que nous voyons dans cette région.
Arrivée à Mu Cung Chai, un bourg posé au fond d'une vallée entourée de montagnes. C'est là que nous nous posons pour passer la nuit, dans une famille de Thaïs noirs. La maison est construite sur pilotis chez les Thaïs, contrairement aux Hmongs où la maison est de plain pied. L'étage est divisé en chambres séparées par des rideaux de couleur. Et une sorte de vaste couloir où on prend les repas en commun.
Comme partout, l'accueil des propriétaires est enthousiaste. Il est vrai qu'ils ont l'habitude de recevoir des touristes de notre agence.
Nous faisons une petite promenade qui se limite à marcher autour du petit hameau autour  duquel se trouve la maison de nos hôtes. Des femmes joue à un jeu étrange, qui s'appelle le "lancer de niveau".
5 petits palets déposés sur la tranche sont alignés par terre. A 10 mètres, les concurrents placent un palet identique au sommet de leur pied et le principe du jeu est de s'élancer d'un pas avec le palet sur le coup de pied et de le lancer en direction des 5 palets alignés jusqu'à en faire tomber un. Une version thaï-vietnamienne du jeu de quilles en quelque sorte. Nous avons essayé mais je suis désolé de dire que la France ne sera pas cette année championne olympique du "lancer de niveau" ...
La marche initialement prévue autour du village se transforme en séance d'informations données par Duyên. Elle nous a dit que si les Occidentaux aiment marcher, ce n'est pas le cas des Asiatiques. Et notre guide, elle est asiatique ... Mado qui croyait faire une belle randonnée s'impatiente.
Duyên nous donne des informations sur les dizaines d'ethnies minoritaires qui peuplent le Vietnam. Beaucoup d'entre elles sont originaires du sud de la Chine et ont été chassées par l'avancée des Han, l'ethnie majoritaire chinoise. Certaines ne se sont installées au Nord du Vietnam, mais aussi au Laos et en Thaïlande, que depuis relativement peu de temps, environ 200 ans. Beaucoup de ces ethnies sont taoïstes et pratiquent le chamanisme. On ne trouve d'ailleurs pas dans les villages thaïs de pagodes comme on en trouve dans les zones où habitent les Viets (ou Kinhs), l'ethnie ultra majoritaire (85% de la population du Vietnam). Chaque ethnie vit dans une zone spécifique. Dans la région que nous traversons ces jours-ci, les Thaïs occupent des villages de moyenne montagne alors que les Hmongs habitent à des altitudes plus élevées. 
Duyên veut aussi nous parler des problèmes du système éducatif vietnamien. D'après elle, il est très inégalitaire. Sur le papier, l'éducation est gratuite mais la réalité est beaucoup moins rose. Les enseignants ne se foulent pas trop à l'école. Ils font des heures de 45 minutes et ne sont pas trop motivés pour aider les élèves en difficulté. Ceux qui veulent réussir doivent suivre des cours particuliers proposés  par ... leurs professeurs. Duyên cite l'exemple de ses petits frères qui doivent payer cher pour bien apprendre leurs leçons. Il faut dire que les enseignants sont très mal payés, un débutant touche 60 dollars par mois. Pour se faire une idée du pouvoir d'achat, un litre d'essence coûte ici environ 20% moins cher qu'en France. Une moto moyenne coûte de 400  a 800 dollars environ, donc 10 mois de salaire. Étant donné le très faible salaire, on trouve de moins en moins d'étudiants volontaires pour enseigner. Les jeunes diplômés préfèrent travailler dans le secteur privé plus lucratif. Quant à ceux, très peu nombreux, qui peuvent obtenir une bourse d'études à l'étranger, une fois leurs diplômes obtenus, ils préfèrent rester dans le pays de leurs études. ... C'est donc un tableau assez noir du monde éducatif vietnamien que nous dresse Duyên. 
Le diner est pris en commun dans le "gîte" avec un autre couple de français et leur guide. Un peu toujours le même menu : bouillon de légumes, nems, poulet concassé au gingembre, bœuf en lamelles, porc grillé au caramel,  chou-rave cuit en lamelles, riz, fruits, ... et alcool de riz, la seule boisson.
 Partie de cartes avant l'extinction des feux
Ce soir, c'est notre première expérience de nuit passée dans une même pièce avec Mado et Jean-Paul. On ne peut pas considérer que le petit tissu qui sépare notre matelas du leur soit un isolant phonique bien efficace ... J'espère que mon ronflement ne les gênera pas trop. Quant à moi, avec mon équipement protecteur (boules quiès et masque oculaire) je ne risque rien !

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