mardi 7 avril 2015

Traversée indochinoise (27) : Le Delta du Mékong, de Chau Doc à Can Tho

Voici notre guide, Lung, qui va nous accompagner pendant les quelques jours que nous allons passer au Sud du Vietnam.
Notre première journée de visite au Vietnam commence par la réserve ornithologique de Tra Su. Au départ, j'ai quelques doutes sur l'intérêt que peut présenter cet endroit. Mais ça s'avère un préjugé un peu stupide parce que c'est finalement très beau et très intéressant. Très beau parce que nous faisons une promenade en barque dans un endroit magnifique: des marécages au beau milieu d'une forêt de cajeputs et d'eucalyptus plantés dans une eau totalement recouverte de lentilles d'eau vertes; on dirait que la barque est posée sur du gazon ...
Très intéressant parce qu'il y a un grand nombre d'oiseaux aquatiques : hérons, cormorans, martin-pêcheurs, ... 
Sur le Mont Sam, on trouve de nombreux temples et pagodes. L'endroit doit inspirer les mystiques de toutes origines. La pagode Tay An est d'une architecture tout à fait originale. Un dôme qui la surmonte témoigne des influences hindoues et islamiques.
Devant l'entrée, une statue de Quan Am Thi Kinh, gardienne de la mère et de l'enfant. A l'intérieur, on vénère le Bouddha aussi bien que la Déesse de la Miséricorde (elle s'occupe également de la fertilité).
Dans un petit bâtiment adjacent, on pratique le culte des ancêtres auxquels on apporte des offrandes. Des centaines de photos des défunts ont été apportés là par les familles.
Les Vietnamiens non chrétiens suivent en même temps les préceptes et les coutumes de plusieurs religions: le bouddhisme tendance Grand Véhicule (différent de celui pratiqué au Laos et au Cambodge), le culte des ancêtres, et le culte d'autres divinités, comme ceux de la Déesse-Mère de la Patrie ou de la Déesse aux Mille Bras et aux Mille Yeux.
Justement à proximité se trouve le temple de la Déesse Ba Chua Xu, une célébrité locale. L'effigie de la Déesse Xu pourrait être un vestige de la culture d'Oc-Eo datant du VIème Siècle, et cette déesse serait en fait la représentation ... d'un homme.! Pas très simple à suivre pour nous, misérables Occidentaux ! On offre à la déesse des porcs rôtis.
Mais, apparemment, il y a un sacré trafic avec ces porcs. Certains qui sont amenés par les paysans comme offrandes sont ensuite refourgués a des restaurants ... Pour éviter ces mauvaises actions qui nuisent à l'efficacité de la déesse, de nombreux donateurs en mangent une partie car alors le porc n'est plus "réutilisable" ! Les habits de la déesse sont régulièrement découpés en petits morceaux de tissu et vendus. Ils portent bonheur. Il ne faut pas s'en priver, ce n'est pas cher !
Dans cette ville, beaucoup de bonsaïs dont la culture est devenue populaire du temps de l'occupation japonaise, pendant la Deuxième Guerre Mondiale. On en voit un peu partout au Vietnam.
Notre guide, Lung, nous expose rapidement les différences entre le bouddhisme du Petit Véhicule ( les fidèles essaient de vivre comme a vécu le Bouddha) et le bouddhisme du Grand Véhicule (les fidèles essaient de mettre en application les préceptes du Bouddha). Je ne sais pas si c'est vraiment ça parce que ça a l'air très compliqué, comme tout le bouddhisme d'ailleurs ... Pour Lung, ce qui caractérise surtout les cultures asiatiques - influencées par la pensée taoïste chinoise - , c'est le  yin et le yang. Sur Terre, tout élément dispose de son contraire (le masculin et le féminin, le ciel et la terre, le blanc et le noir, le soleil et la lune, le clair et le sombre, le chaud et le froid, ...) et c'est l'équilibre entre les deux qu'il est bon de rechercher, contrairement à ce que l'on croit dans d'autres civilisations où on pense qu'il n'existe qu'une seule vérité. 
Dans les environs, on vénère aussi le Général Thoai Ngoc Hau qui servit la dynastie des Nguyen et eut un rôle important dans création de canaux de drainage et d'irrigation dans la région, au début du XIXème Siècle. Près de son tombeau, ceux de ses lieutenants. Ils font l'objet d'une vénération populaire.
La route qui va de Chau Doc vers Can Tho, la ville la plus importante du Delta, 

est en très bon état et séparée en 2 voies par un petit terre-plain central cultivé, planté d'arbustes parfaitement taillés. Une circulation continue de motos empêche d'aller très vite. Cela permet d'observer le manège incessant des motocyclistes, des bateaux navigant sur un bras du Mékong, l'installation des drapeaux du pays (rouge à étoile jaune) et du Parti Communiste, des slogans à la gloire du Parti.
On longe de vastes rizières qui sont très vertes, contrairement à ce qu'on a vu la plupart du temps au Laos et au Cambodge. Ici, c'est le Paradis, nous dit Lung, pas comme au Nord, où c'est l'Enfer ! Tout pousse grâce à un climat chaud et humide. Au Vietnam, il y a deux sortes de riz, le riz a croissance rapide cultivé dans le delta du Mékong qui permet d'avoir jusqu'à 3 récoltes par an et le riz a croissance lente cultivé dans le Nord où on ne fait qu'une seule récolte annuelle à cause d'un climat plus rude et de terres moins fertiles et de plus souvent polluées par les excès de produits chimiques. Et deux variétés : le riz blanc et le riz gluant qui n'ont ni la même apparence ni le même goût. Le riz gluant est un aliment de fête.
C'est le moment que choisit notre guide pour nous parler de lui et de son pays. Lung, 65 ans, est guide local, et aussi national dit-il avec fierté. Il est le fils de Lucas D... , un Vietnamien Pupille de la Nation, adopté et élevé, du temps de la colonie française, par la famille D..., des Français de souche. Lucas faisait partie de la police secrète, travaillait au profit des Français et il eut une fin tragique en recevant une balle dans la tête. Son fils (notre guide) est prénommé André Lung (un prénom français et un prénom vietnamien) et il est de nationalité française. Dans les années 1960 (celles de la République du Sud-Vietnam soutenue par les Français puis les Américains, notre André/ Lung fréquente une école française payante à Da Nang (il nous en montre la photo) avant de continuer ses études dans un lycée vietnamien gratuit car l'Ambassade de France cesse de lui payer ses études. A cette époque, le gouvernement sud-vietnamien de Ngo Dinh Diem prend un virage plus nationaliste, et exige que les étrangers quittent le pays ou bien choisissent volontairement de se vietnamiser. Cela concernait essentiellement les Français et les Chinois. André D... choisit donc "spontanément" de devenir Lung N... T..., de nationalité vietnamienne. Il n'a pas vraiment le choix. Plus tard, il fait des études de droit à Saïgon et se retrouve dans sa vingtaine sous-officier judiciaire (dans un bureau) . En 1975, les communistes arrivant au pouvoir au Sud-Vietnam l'envoient, comme tous les cadres de l'armée sud-vietnamienne, en camp de rééducation. Il y reste 3 ans quand plusieurs de ses amis y sont restés jusqu'à 12 ans parce, dit-il en riant, il était devenu un très bon communiste, ayant très vite appris la leçon. Cet avantage devient, malheureusement pour lui, un désavantage (le yin et le yang dit-il avec philosophie); quand des dizaines de milliers de Vietnamiens fuient plus tard leur pays (les boat people), les Américains décident de n'accorder l'asile qu'à ceux qui ont fait au moins 6 ans de camps ... Lung doit donc rester au Vietnam. A sa sortie du camp de rééducation, son sort n'est pas encore réglé ... Il lui faut trouver du travail mais son pedigree (ancien sous-officier de l'armée sudiste avec un père membre de la police secrète française) lui ferme la plupart des portes. C'est finalement - ironie de l'histoire - l'agence de voyage du Parti Communiste qui lui offre un travail de guide non titulaire et payé a la tâche. Ensuite, au début des années 1990, au moment de l'ouverture et de la libéralisation de l'économie (à ce moment on abandonne les coopératives , on privatise le commerce, .... à la mode chinoise de Teng Hsiao Ping), il devient même conseiller du Parti Communiste pour le tourisme ... Il en rit encore ! 
Lung nous parle aussi des relations entre Vietnamiens et Cambodgiens qui n'ont jamais été simples. A la fin de la deuxième guerre d'Indochine, en 1975, le Viêt-cong est parvenu au pouvoir à Saïgon et les Khmers Rouges à Phnom Penh. La Cochinchine (le delta du Mékong) ayant été une province cambodgienne pendant de nombreux siècles, les Khmers Rouges très puissants dans ce coin du "Cambodge maritime" décident de revendiquer et d'annexer cette partie du Sud-Vietnam à leur pays. Et commencent des actions d'intimidation a l'égard de ceux qui ne veulent pas devenir Cambodgiens. Lung nous dit qu'ils ont commis des atrocités comme par exemple le fait d'empaler les femmes par le sexe jusqu'à ce que mort s'en suive. 10 000 Vietnamiens auraient été tués par les Khmers Rouges dans le seul Delta du Mékong. Ceci explique d'après lui l'intervention de l'armée vietnamienne en 1979 pour chasser les Khmers Rouges du pouvoir au Cambodge.
Les explications de notre guide, quelquefois difficiles à comprendre à cause de son accent très prononcé, ont endormi une bonne partie de l'auditoire (pas moi !) et nous voici arrivés à la Ferme des Crocodiles. Là, je mange ... du crocodile sauté au saté. C'est très bon.
Dans le restaurant, d'énormes cobras sont conservés dans de gros bocaux remplis d'alcool. Impressionnant.
Non moins impressionnante est la visite des cages à crocodiles : les 10 000 sauriens de la Ferme sont séparés en groupes différents : bébés jusqu'à 2 ans, groupe des 3-5 ans qui sont électrocutés pour faire de la viande ou des sacs à main ..., groupe des 10-22 ans qui servent de reproducteurs.
Dernière halte avant d'arriver à Can Tho (en vietnamien Cần Thơ), la maison de Bin Truynh dans laquelle Jean Jacques Annaud a tourné le film "L'Amant". C'est une merveilleuse maison chinoise traditionnelle.
La circulation a Can Tho est apocalyptique avec des kyrielles de motocyclettes et de vespas qui envahissent les chaussées au moment de la sortie des bureaux. A l'approche de la Fête du Têt (le Nouvel An vietnamien), c'est un véritable casse-têtes que de conduire ici.
Après un très bon repas dans un restaurant tenu par un français et son épouse vietnamienne, situé au bord d'un des bras du Mékong, on peut marcher dans les rues envahies de piétons et de motocyclistes venus faire le plein de fleurs et de cadeaux pour le Nouvel An. Au beau milieu de la chaussée, des marchands vendent de magnifiques bougainvillées bonsaïs roses et rouges au tronc énorme qui doivent avoir au moins 30 ou 40 ans, des chrysanthèmes jaunes, des œillets d'Inde jaunes et oranges, des arbustes sur lesquels sont greffées de fausses fleurs mauves ou jaunes.
Pour la Fête du Têt (en vietnamien Tết Nguyên Ðán) il faut avoir avoir chez soi des arbustes avec des fleurs jaunes ou oranges, rouges ou mauves, les couleurs du bonheur et de la prospérité.  Les gens nous sourient, nous font un signe de la main, disent "hello" ou posent pour la photo. Qu'est ce qu'ils sont gentils et sympathiques, ici ...
Une pin-up vietnamienne pose devant la grande statue de l'Oncle Ho

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