mercredi 2 mars 2016

Inde (25) : La ferme de Palanpur, le Temple de la secte Swaminarayan à Gandhinagar, la politique indienne vue par Trupti

Descente par la route étroite du Mont Abu. Les singes se sont donnés rendez-vous pour nous dire au revoir. En fait, ils attendent simplement la nourriture que pourraient leur donner quelques humains compatissants.
Notre chauffeur descend à bride abattue et plusieurs fois, il doit piler dans un virage, sous peine d'entrer en collision avec un camion. Cela passe à quelques centimètres seulement. 
Puis nous nous arrêtons dans une famille de paysans qui possèdent 4 belles maisons où logent 4 frères, et leur descendance. Ils sont 30 à vivre sur cette ferme familiale vers Palanpur .
Le cinquième frère, Sashi, a quitté la région pour aller travailler à Ahmedabad. 
Sashi est le logeur de Marie. Cette dernière a insisté pour changer d'hôtes parce que, si j'ai bien compris, la famille de Sashi ne parlait pas anglais. Trupti nous a dit que les enfants de Sashi attendaient avec impatience l'arrivée d'une Française; ils avaient décoré leur maison aux couleurs de la France, avec des tours Eiffel, et ils sont maintenant très déçus d'apprendre que Marie ne restera pas chez eux. Quelle tristesse d'autant que Trupti nous dit qu'il n'y a jamais eu de problèmes avec la famille de Sashi lors de séjours précédents ... Et effectivement, nous le voyons par l'accueil qu'ils nous réservent ici! Dans ce groupe, je ressens que les Toulousaines, Françoise et Marie, ne semblent pas très ouvertes à rencontrer des gens qui ne vivent pas comme nous. Françoise déteste la nourriture indienne, trop épicée, et le montre. Elle est mécontente du programme qui est trop ceci, pas assez cela, ... Les deux ne sont pas des compagnes de voyage toujours très commodes. Je n'aimerais pas être à la place de Philippe qui, en tant qu'accompagnateur de PA, a la charge d'intervenir auprès des Indiens pour arrondir les angles. 
L'accueil à la ferme de Palanpur est vraiment extraordinaire. Roger qui s'intéresse à la musique se voit offrir un beau calendrier avec des musiciens indiens classiques.
Les femmes nous font rentrer chez elles pour nous montrer comment elles préparent le déjeuner. Trupti sen mêle ...
Les hommes nous accompagnent dans les champs où on cultive du ricin - utilisé pour faire de l'huile de lubrification et des médicaments - , de la moutarde, de la luzerne pour les vaches, du fenugrec, du blé.  Tout est bien entretenu, il y a des tuyaux d'arrosage permanents dans les champs. Nous ne sommes pas ici chez de pauvres paysans !
Il y a aussi une trentaine de vaches et de buffles qui donnent du lait. Ce ne sont pas des races à viande, nous sommes en pays végétarien. Encore que les Musulmans qui représentent 35% de la population du  Gujarat ne le soient sur pas, eux, végétariens ... mais, en Inde, consommer de la viande de boeuf peut vous envoyer au paradis ... ou plutôt en enfer, voir l'article suivant qui date de 2015 : Accusé d'avoir mangé du boeuf, un musulman est battu à mort par la foule
Le repas est pris assis sur des lits qui servent aussi à faire la sieste. 
J'aime bien ce repas qui ressemble cependant à tous ceux que nous mangeons d'habitude: des galettes de pain - ici c'est du millet - , du riz avec une sauce au curry peu épicée, des lentilles et un petit dessert - une sorte de semoule légèrement sucrée - . À part le pain qui peut être très différent d'une fois à l'autre, on retrouve toujours un peu les mêmes plats, toujours avec des sauces plus ou moins piquantes. Pour l'instant, je tente d'éviter ces épices qui me décapent le tube digestif, du haut en bas ...
L'après-midi, dans le bus, on nous passe un film de Bollywood qui raconte l'histoire d'une petite fille pakistanaise muette partie en Inde avec sa mère pour y être soignée. Elle s'est ensuite perdue et s'est retrouvée seule sans sa mère, en Inde.
Un jeune et bel Indien s'enquiert de l'aider, non sans mal vu qu'elle est muette, et finit par comprendre qu'elle est musulmane et pakistanaise. Il va la raccompagner clandestinement chez elle, ce qui va lui être fatal ... Beaucoup de rebondissements avec la police pakistanaise, avec la famille indienne. Ça a l'air drôle parfois (à ce moment, le réalisateur ajoute une petite séquence de danses indiennes à la sauce Bollywood), dramatique à d'autres moments. C'est un hymne à la tolérance entre Hindous et Musulmans, entre Indiens et Pakistanais. Mais ça ne captive pas suffisamment mon attention pour m'empêcher de sombrer de temps à autre dans le sommeil.
 En approchant de la ville, les bidonvilles et les tentes de SDF refont leur apparition.
A Gandhinagar, la capitale de l'Etat du Gujarat, nous faisons un halte pour aller voir le Temple de la secte Swaminarayan qui a été attaqué par des fanatiques musulmans en 2002, après les émeutes d'Ahmedabad . Alors, la fouille au corps est sévère pour pouvoir y pénétrer et il est interdit d'apporter appareils photos, tablettes et mobiles.
La secte Swaminarayan est la plus riche d'entre toutes, avec des branches à l'étranger: Angleterre, USA, Kenya, ... On vénère ce saint qui vécu à la fin du XVIIIeme Siècle et a eu quatre successeurs. On commence par arroser d'eau chaude sa statue. Puis par visiter une exposition permanente sur sa vie. Son aventure commence tôt puisqu'il abandonne le foyer familial des l'âge de 11 ans pour vivre une vie d'errance et d'initiation un peu partout en Inde. Il est si instruit en religion qu'il devient un gourou très connu et respecté. Trupti dit qu'il a aujourd'hui plusieurs millions d'adeptes de par le monde. Au programme de la visite un film sur la vie de ce Swaminarayan avec de belles images des lieux mythiques par lesquels ils est passé, comme l'Himalaya et divers lieux sacrés d'Inde.
Le son et lumière, réalisé par un Français, est très beau et impressionnant. On projette sur un rideau d'eau un film accompagné d'effets spéciaux. Un mélange de Walt Disney, de Bollywood et d'images pieuses du saint. C'est très étonnant !
Nous sommes repérés dans l'assistance et on nous fait une ovation. On ne doit pas voir souvent des étrangers par ici non plus.
Dîner dans la salle de restaurant du temple. Il n'est pas rare ici de voir des temples fournir des repas gratuits pour les pauvres. Je mange une dosa (une crêpe fine fourrée à la pomme de terre et parfumée). C'est excellent et ça présente l'avantage de ne pas être épicé !
A la nuit tombée, nous sommes de retour à Ahmedabad après une petite demi-heure de route. Chetan nous attend. Trupti qui ne l'a jamais quitté un seul jour depuis qu'elle est mariée est contente de revoir son homme.

De retour à la maison, nous avons un peu de temps pour parler de la politique indienne avec Trupti. Comme tous ceux que nous avons rencontré ici, Trupti est une partisane de Narendra Modi, le Premier Ministre indien qui appartient au parti nationaliste hindou BJP. Surprenant de la part de quelqu'un qui se dit "socialiste" ! ... De l'avis de tous, Modi a été un Chief Minister du Gujarat efficace, pendant 10 ans. Il a mis fin à la corruption qui gangrenait la fonction publique (ici les salariés du public sont mieux payés en général que ceux du privé).  Et entre 2002 et 2012 l'économie du Gujarat s'est bien améliorée. Modi a gagné la confiance des commerçants et aussi des paysans parce qu'il a amélioré l'accès à l'eau et à l'électricité. C'est vrai que les grandes routes sont en bon état, mieux qu'au Maharashtra. Un canal a été aménagé au nord d'Ahmedabad qui a permis l'irrigation d'une vaste zone qui était désertique auparavant. Les Musulmans qui craignaient son arrivée au pouvoir l'ont finalement bien acceptée parce que les commerçants musulmans ont vu leurs affaires se développer.
Pour Trupti qu'on ne peut accuser d'islamophobie (elle s'intéresse à l'islam, a lu le Coran et professe la tolérance religieuse), la politique de Modi n'est pas hostile aux Musulmans. Trupti dit que pendant qu'il a été Chief Minister du Gujarat il n'y a pas eu d'émeutes inter-confessionnelles (C'est inexact parce que les émeutes entre Hindous et Musulmans qui ont fait 2000 morts à Ahmedabad ont eu lieu en 2002, au début de sa mandature). D'après Trupti, Modi est victime des positions radicales du BJP prises auparavant et qui lui collent encore à la peau. Et d'affirmations malveillantes de certains médias qui lui sont hostiles. Maintenant, on dit que sa politique économique au niveau national ne donne pas de résultats. Mais il faut attendre, il n'est au pouvoir que depuis 15 mois ... (Discours connu dans tous les pays !)
On parle un peu des castes et des mariages arrangés. Trupti me dit qu'elle et Chetan ont fait un mariage arrangé. L'amour est venu après. Dans les mariages arrangés actuels, l'homme et la femme peuvent dire non aux propositions. Trupti et Chetan font partie de la même caste des Brahmanes, la caste la plus élevée. Mais Trupti dit que ce n'est pas ce qui la définit, elle est "un être humain", une manière sans doute de sortir de cette pesanteur sociologique. Une de ses filles qui s'est mariée avec un Hindou ne s'est pas mariée religieusement (elle n'est pas croyante de toute manière ...) et ce n'était pas un mariage arrangé entre membres d'une même caste. D'ailleurs elle n'a pas fait de grande fête à la mode indienne. Trupti dit que les choses changent lentement en Inde.
Je lui pose la question de savoir pourquoi les enfants des familles aisées partent fréquemment s'installer en Occident. C'est un mouvement qui prend de l'ampleur (il commence à toucher la France aussi ...) et qui ne va pas dans le sens d'un développement du pays qui a besoin de cadres compétents. Trupti dit qu'on ne peut pas empêcher les gens d'essayer de vivre mieux. Je comprends évidemment cet argument mais il n'empêche que cela témoigne probablement d'un manque de confiance dans l'avenir du pays. Pourtant une classe moyenne se développe malgré tout bel et bien en Inde et tout n'est pas bloqué dans ce pays. Je n'insiste pas car je sens Trupti un peu mal à l'aise: ses deux filles sont parties aux USA et elle-même et Chetan ont tenté d'émigrer au Canada au début des années 2000 sans que cela aboutisse ...
De manière générale, dans les discussions que nous avons, je ressens que les Indiens essaient de se montrer sous leur meilleur jour quitte à prendre quelque distance avec les faits. Que ce soit dans les expos sur Gandhi, ou encore aujourd'hui au temple de la secte Swaminarayan, où on nous présente "Mystic India" comme un modèle de non-violence, de tolérance religieuse. J'ai l'impression qu'il faut forger une légende dorée qui n'est pas toujours corroborée par la réalité. Ces messages sont sans doute destiné à un public qui n'est pas, pour la plupart, très éduqué (l'éducation n'est pas obligatoire en Inde selon Trupti), et auquel il faut asséner des messages simples et positifs. On a connu ça en France aussi où on a essayé de faire croire pendant longtemps que la plupart des Français avaient résisté pendant la Guerre alors que la réalité était assez différente. Je suis étonné, en tout cas, que nos hôtes qui, eux, sont cultivés et instruits, abondent dans cette vision idyllique de l'Inde et ne fassent pas beaucoup preuve de sens critique (chez nous, en France, nous sommes la plupart très critiques avec nous-mêmes). C'est tout de même un pays où les émeutes inter-confessionelles font régulièrement des dizaines de morts. Je veux bien croire que cette haine soit attisée par des partis politiques extrémistes (comme le fait chez nous le Front National) mais si ces derniers excitent ces mauvais sentiments pour en tirer profit c'est bien que ceux-ci sont latents dans une partie de la population indienne ...
A propos de partis politiques. Trupti nous dit que le Parti du Congrès est corrompu. Ses membres sont pour la plupart incultes et ne cherchent qu'à trouver un moyen de se mettre beaucoup d'argent dans la poche ("pour pouvoir vivre 4 générations" dit Trupti). Les dirigeants du Congrès sont devenus une dynastie de plus en plus coupée du reste de l'Inde. Ça ne vous rappelle rien ? Les intellectuels l'ont déserté et nombre d'entre eux ont maintenant choisi le BJP de Narendra Modi. De plus, pour être tout à fait honnête, il y a une sorte d'aversion nationaliste contre la Présidente du Congrès et veuve de Rajiv Gandhi, Sonia. Elle n'est pas indienne d'origine, elle est italienne, et c'est utilisé pour lui barrer la route du pouvoir. 

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