mardi 10 mars 2015

Traversée indochinoise (17) : Done Khone dans les 4000 Iles


Notre avant-dernier jour au Laos. Nous n'entendrons plus sabaï dii (bonjour, en lao ສະບາຍດີ) le matin et ne dirons bientôt plus khop chai lai laï pour remercier (merci beaucoup, en lao ຂໍຂອບໃຈທ່ານ ຫຼາຍຫຼາຍ ). 
Nous quittons l'île de Done Khong en pirogue pour aller sur l'île de Done Khone 20 kilomètres plus au sud. 
Le temps est au beau comme toujours depuis que nous sommes ici au Laos. Le matin, la température est bonne mais elle grimpe rapidement pour atteindre plus de 30° avant midi. C'est une descente qui se fait à petite vitesse et qui nous permet d'observer la vie le long du fleuve. 
Les paysans qui cultivent la terre très fertile de ces îles du Mékong situées entre Laos et Cambodge apportent leurs productions au marché des petits villages situés sur la berge laotienne et reviennent avec des provisions, des pièces de rechange pour les engins agricoles ... et des packs de bière Beerlao.
Beaucoup de pirogues de transport le plus souvent complètement chargées et des pirogues de pêcheurs qui posent leurs filets le matin avant de les relever le soir. La pêche a l'épervier a plutôt lieu en fin d'après-midi. 
Pendant la saison sèche, il y a quelquefois des rapides sur le Mékong, bien que cette année le niveau du fleuve soit sensiblement supérieur au niveau habituel. Des buffles se trempent dans l'eau et viennent brouter des algues en immergeant totalement leur tête. 
Les buffles sont de moins en moins nécessaires à la culture, depuis qu'ils ont été remplacés par des machines. Mais il en reste quelques uns entre autres parce que le buffle est un animal comestible dont la viande vaut très cher (50 € le kilo). Un buffle adulte est vendu plusieurs millions de kips (plusieurs milliers d'euros) ce qui est une somme énorme ici. Heureux le Laotien propriétaire de buffles !


En chemin, on rencontre des gens en train de faire leur toilette dans le fleuve. 
Le voyage est un peu long, ce qui me permet de parler avec notre guide Phoukhiao. Entre autres de l'influence grandissante de la Chine au Laos. Il me dit que les Chinois pratiquent une politique de coopération très intelligente, en proposant des prêts à taux 0 ou bien de leasings que les Laotiens ont du mal a refuser, d'autant que les bailleurs de fonds d'autres pays ne sont pas légion, et qu'en plus, ils sont beaucoup plus exigeants. Il me dit que les Chinois vont bientôt construire une grande ville près de Vientiane sur le modèle d'une ville chinoise existante (que je ne connais pas), et qu'elle sera surtout habitée par des Chinois. Les "hommes d'affaires" chinois sont de plus en plus nombreux dans le pays, et ils ne respectent pas toujours les lois laotiennes. A titre d'exemple, Phoukhiao me dit que les bois précieux et très chers (bois de rose, bois de fer) dont l'abattage est interdit ici font l'objet d'un commerce clandestin alimenté par des Chinois qui les revendent ensuite à prix d'or dans leur pays. Le guide dit que beaucoup de Laotiens se doutent que les choses ne vont pas en rester là et que les Chinois qui occupent déjà une place prépondérante dans le commerce vont grignoter petit à petit d'autres secteurs de l'économie du pays. Cette coopération ressemble de plus en plus a une colonisation déguisée. Colonisation douce, mais colonisation tout de même. Il semble que les Laotiens souhaiteraient une coopération plus importante et plus efficace avec d'autres pays comme les pays occidentaux, et aussi l'Inde. Mais il faut aussi compter avec la corruption des élites laotiennes et les Chinois ont peut-être recours à ces méthodes-là pour remporter des marchés ...
On parle aussi du parti unique. Il pense que plus il y aura de Laotiens qui auront vécu une partie de leur vie a l'étranger (dans les pays occidentaux) et connu un autre système politique, plus il y aura de volonté de réforme, plus il y aura de liberté, et plus les droits de l'homme seront respectés. On ne peut pas mieux dire, sobrement, que ce n'est pas le cas aujourd'hui au Laos. Pourtant Phoukhiao n'est pas un anticommuniste primaire et il reconnait le rôle important qu'a eu le Pathet Lao pour obtenir une véritable indépendance à l'égard des Américains. Il y a plutôt de la déception chez lui ... 
Nous débarquons sur l'île de Done Khone près d'une guest house qui possède des bungalows flottants.
Ce sera notre hébergement pour la nuit prochaine. Une bonne idée de notre agence ! Notre chambre avec vue directe sur le fleuve bénéficie de tout le confort: un grand lit, une salle de bains dont la douche est fermée, ce qui est rare ici au Laos (la plupart du temps, la douche est a l'italienne, ouverte, et l'eau s'écoule par un trou du plancher de la salle de bains. Du coup, les lunettes des WC sont toujours aspergées ... ).
Première visite à vélo vers l'ouest de l'Ile et les chutes Li Phi du Mékong. 
C'est un chaos indescriptible que traverse le fleuve sur une très grande largeur.
On comprend que les Français voulant, au début du protectorat, établir une voie fluviale ente la Mer de Chine, Vientiane et le Nord du Laos aient dû construire une voie de chemin de fer sur l'Ile de Khone et l'île de Dete pour éviter ces chutes. Les marchandises étaient débarquées des bateaux qui arrivaient de Saïgon et avaient traversé le Cambodge pour être chargées sur le petit chemin de fer, puis déchargées au Nord de l'Ile de Dete pour été transbordées sur d'autres bateaux qui remontaient ensuite vers Vientiane et même plus au Nord. 
Mais pour s'assurer d'un passage sûr, il avait fallu forcer le Siam (l'actuelle Thaïlande) à abandonner ses revendications sur la région. Des canonnières françaises avaient été démontées et acheminées grâce au petit train de l'Ile de Khone sur le Mékong et avaient pu menacer le Siam. 
Le terme de "politique de la canonnière" chère à Jules Ferry est resté célèbre!  Une caricature anglaise de 1893 parue dans le London Charivari montrait le méchant loup français (French wolf) menaçant le pauvre petit agneau siamois (Siamese lamb) ; il est vrai que les Anglais avaient aussi des prétentions coloniales sur la région, et avaient intérêt à dénoncer l'attitude des Français !
Au déjeuner, nous avons un plat traditionnel du cru : du canard au curry accompagné par des patates douces, carottes et pommes de terre. Très bon. 
Après un petit bain dans la piscine de l'établissement alimentée en eau du Mékong, une promenade à pied permet de découvrir le petit village de Khone Tai dans lequel nous résidons. Petites scènes de la vie courante : une femme taille avec un coupe-coupe des noix de cocos assemblées en un gros tas au bord du Mékong. 
Des jeunes gens jouent au billard américain installé dans une maison tressée avec des bambous. 
Des familles entières se lavent dans le Mékong. 
Des enfants jouent aux petites voitures dans la rue par terre ou bien conduisent des motos à de très jeunes âges. 
Les gens ici sont très souriants et accueillants bien qu'ils soient très pauvres. Au dîner, nous liquidons nos derniers kips (la monnaie laotienne) en commandant un petit cocktail et un bon plat de poisson frit au curry, cuisiné au lait de coco. Une belle soirée au bord du Mékong qui termine en beauté notre séjour au Laos.

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