mercredi 25 mars 2015

Traversée indochinoise (19) : Entrée au Cambodge par la route. Kratie, l'Ile de KhoTrong.



Nous disons adieu à notre guide laotien, Phoukiao, et bonjour à notre guide cambodgien Ogtola qui se fait appeler Tola. Il a 32 ans, et n'est pas marié. Ça a l'air d'être un joyeux drille qui aime faire la fête. Il rigole pour tout. Il a suivi des études de français a l'Université de Phnom Penh. 
Notre étape d'aujourd'hui est assez longue, près de 300 kilomètres, de la frontière laotienne jusqu'à Kratie, en passant par Stung Treng.
Pendant que notre minibus roule à toute berzingue sur une route qui ressemble plus à une piste africaine qu'à une grande route internationale, Tola nous présente rapidement son pays. On sent tout de suite qu'il n'aime pas le gouvernement actuel dirigé par le Premier Ministre Hun Sen, au pouvoir depuis de longues années. C'est vrai que Hun Sen et ses copains semblent exercer un pouvoir très personnel. On voit un peu partout des affiches des dirigeants du Parti au pouvoir, le Parti du Peuple Cambodgien. 
Théoriquement il y a des partis d'opposition au Cambodge mais le pouvoir aurait trafiqué les résultats des dernières élections de 2013 qui auraient dû être gagnées par l'opposition. Deux millions de Cambodgiens ont manifesté contre ces magouilles, mais sans succès. Je crois que sur ce point Tola a raison, il me semble avoir lu ça aussi dans nos journaux. D'après Tola, la police pratique la torture. Décidément, le Cambodge ne semble pas être un pays très respectueux des Droits de l'Homme, c'est le moins qu'on puisse dire. L'administration du pays serait totalement corrompue. D'après Transparency International, il fait partie des 20 pays les plus corrompus au monde. 
Tola accuse Hun Sen de rouler pour le compte des Vietnamiens. Hun Sen est un ancien dirigeant des Khmers Rouges qui a abandonné ses anciens complices et a coopéré avec les Vietnamiens pour renverser le régime de Pol Pot en 1979. Depuis, il a pris le pouvoir après que l'armée vietnamienne ait écrasé les Khmers Rouges; Tola nous dit que Hun Sen est devenu plus qu'un allié, un "véritable vietnamien" lui-même. D'ailleurs, Hun Sen parle vietnamien, nous dit-il, c'est la preuve... Tola montre un sentiment très hostile à l'égard de ceux qui ont tout de même mis fin au génocide perpétré par les Khmers Rouges. Le guide nous raconte que tout le site d'Angkor, qui est celui qui rapporte le plus d'argent au pays, a été vendu aux Vietnamiens qui encaissent les entrées d'argent des touristes. Ca paraît tellement gros qu'on a peine à le croire. Nous aurons l'occasion d'en reparler plus tard ... avec un autre guide, à Angkor même ... Tola, il fait vraiment une fixette sur les Viets que c'en devient quelquefois risible. ... Il est la personnification même d'une xénophobie qui, comme ailleurs, et comme chez nous aussi, rend l'étranger responsable de tous les problèmes. Xénophobie alimentée aussi par une attitude hautaine des Vietnamiens à l'égard de ces péquenauds de Khmers.  
Au plan économique, les choses ne marchent pas fort non plus; le Cambodge - qui a vu la totalité de ses élites instruites être exterminée par les Khmers Rouges - se trouve à peu près au même degré de "richesse" que les pays du Sahel. Pas étonnant de constater que beaucoup de Cambodgiens vont travailler à l'étranger, en particulier en Thaïlande. Pour la France, c'est devenu difficile d'y partir car le consulat français impose maintenant un degré minimum de connaissance de la langue et, ici comme au Laos, le français a quasiment disparu de la circulation.. En plus, à cause des problèmes budgétaires dans notre pays, le nombre de bourses offertes par la France a été fortement réduit. Tola n'était pas un élève brillant à l'Université - tout au plus moyen avoue-t-il - , ce qui ne lui a pas ouvert les droits d'obtenir une bourse pour continuer d'apprendre le français en métropole. 
Après ce tableau peu amène de la situation politico-sociale du Cambodge, il est temps de prendre un déjeuner rapide, aux standards de prix locaux,  dans un bouiboui où il n'y a pas de dessert. Achat de petits gâteaux qui ressemblent à des gâteaux de Savoie parfumés.  Nous  ne nous sommes pas ruinés.
La route continue toujours aussi mauvaise et poussiéreuse en direction de Kratie. 
C'est là qu'on peut observer sur le Mékong des dauphins d'eau douce, les dauphins de l'Irrawaddy, en voie de disparition. Il n'en reste ici plus qu'une cinquantaine. Les Khmers Rouges les auraient décimé en transformant leur graisse en combustible ... 

On ne voit pas souvent leur tête parce qu'ils sautent rarement hors de l'eau. Alors j'ai trouvé sur Internet une petite image de ce dauphin de l'Irrawaddy sans doute plus parlante.
C'est aussi à Kratie que nous empruntons un transport local, une pirogue à moteur, pour rejoindre l'île de Kho Trong. Dans notre embarcation les gens s'entassent avec leurs provisions achetées au marché. Une femme prend le temps de broder avant le départ ... 

A l'arrivée, un escadron de motos-taxis nous attend pour nous transporter dans notre hôtel. Ces taxis qui nous portent en même temps que nos lourds bagages sont très habiles pour remonter avec leur moto sur des planches depuis la plage. Ensuite, on roule pendant 3 kilomètres une voie bétonnée très étroite, où le trafic est important.
Arrivés à l'hôtel, nous nous apercevons que c'est une résidence de grand standing, construite avec des bungalows à la chinoise magnifiquement située dans la verdure avec de très belles fleurs tropicales.
Et une piscine dans laquelle nous plongeons avec grand bonheur. Aujourd'hui, nous avons mangé de la poussière ! La chambre de notre pavillon chinois me fait penser à la garçonnière du Chinois dans le film L'Amant inspiré du roman de Marguerite Duras. 
On paye en dollars. Ici, au Cambodge, la monnaie américaine semble être la monnaie de référence, plus que le riel, qui est pourtant la monnaie nationale ...
Nuit calme dans l'Ile de. Kho Trong, la première au Cambodge. Quelques moustiques m'attaquent. Il faut bien que notre traitement contre le palu serve à quelque chose !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Entre deux périodes de sommeil, je lis avec intérêt ton blog sur le Cambodge.
La situation ne semble pas merveilleuse. Où est le temps de Norodom Sihanouk ? (qui était un abonné du "Canard Enchaîné" ).
Papi.

Alain V a dit…

Non, la situation du Cambodge n’est pas merveilleuse. Il n’arrive pas à se remettre des guerres civiles qui n’ont pas cessé de 1965 jusqu’à 1993, du génocide perpétré par les Khmers Rouges (2 millions de morts dont tous les gens instruits), puis de l’occupation vietnamienne qui a duré plus de 10 ans.
Quant à Sihanouk, son rôle a été très trouble. Il a essayé de tenir son pays en dehors des guerres d’Indochine mais n’y est pas parvenu. Il a fini par être renversé dans les années 1970 par un général pro-américain, Lon Nol. Il a alors soutenu les Khmers Rouges (sans probablement être au courant de toutes les horreurs perpétrées) qui se sont servis de sa popularité (Sihanouk était un roi de droit divin) et ce, jusqu’à ce que les Vietnamiens mettent fin à cette dictature sanglante en 1979. Il a continué, à s’allier avec les Khmers Rouges - sachant pertinamment à ce moment là qu’ils avaient éliminé 40% de la population cambodgienne - quand ceux ci ont entamé une guerrilla contre les Vietnamiens, par nationalisme anti-vietnamien. Ce n’est que vers 1987 qu’il a cessé toute collaboration avec les Khmers Rouges pour tourner sa veste et négocier avec le gouvernement de Hun Sen, soutenu par Hanoi. Il y a regagné son trône - sans pouvoir - puisque le Cambodge est redevenu un Royaume en 1993. En 2004, il a abdiqué en faveur de son fils, le Roi actuel, sans aucun pouvoir. Sihanouk est mort en 2012. Il est resté très populaire au Cambodge.